Exercez votre palais pour mieux vous soigner !

23/09/2024
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Découvrez la médecine des saveurs

Chère lectrice, cher lecteur,

Si, pour comprendre les qualités d’une plante, il faut l’observer et la toucher, il reste d’autres sens à activer pour explorer le monde végétal : celui du goût.

En effet, la notion de saveur, « rasa » en sanskrit, est fondamentale dans l’herboristerie ayurvédique.

Redécouvrir cette notion, c’est nous permettre d’entrer dans un contact plus direct avec la nature et notre corps par l’intermédiaire de nos sens.

Et donc de nous soigner plus efficacement, en accord avec notre nature profonde.

Fiez-vous à votre instinct !

Goûter une plante, c’est comprendre ce qu’elle va produire sur votre corps.

Si vous croquez dans un piment, vous savez que cela va vous irriter la bouche et augmenter votre température corporelle au point même de vous faire transpirer.

Si l’on raisonne en termes d’élément » : cela va accroître l’élément « Feu » en vous.

Il y a donc un lien entre la saveur piquante et l’élément Feu.

À l’origine donc, la « médecine des saveurs » semble provenir d’un savoir empirique : je goûte et j’observe ce que cela produit dans mon corps.

L’instinct d’aller chercher la saveur dont on a besoin physiologiquement fait d’ailleurs l’objet de réflexions passionnantes de la part de la communauté scientifique.

Les liens entre les saveurs et nos besoins métaboliques sont mieux connus aujourd’hui. Mais cela n’est pas une nouvelle réflexion chez l’être humain.

Que ce soit en Chine, en Inde ou en Europe dans l’Antiquité, des philosophes et des médecins ont tenté d’en percer les secrets.

Le goût et les humeurs

Les médecins de l’Antiquité et du Moyen Âge ont attribué un « goût » aux « humeurs ».

Par exemple, la « bile » est de saveur amère. Pour eux, il y a donc un lien entre l’élément Feu, dont l’humeur biliaire est la représentante dans le corps, et la saveur amère.

« L’atrabile » est, elle, acide. L’élément « Terre » (l’atrabile est, selon les médecins de la théorie des humeurs, liée à l’élément Terre) se distingue donc par son acidité dans les aliments, les plantes, et à l’intérieur du corps.

Dans les manuels de médecine ancienne, on retrouve donc l’emploi d’un vocabulaire « culinaire » pour décrire la physiologie humaine, certaines maladies et divers remèdes.

Y avait-il pour autant un système cohérent de classification des plantes médicinales par leur goût, comme on le retrouve dans les médecines chinoises et indiennes ? Un spécialiste que j’ai interrogé sur la question[2] m’a confirmé que non, hormis de manière marginale, notamment chez un botaniste du XVIIIᵉ siècle : Michel Adanson.

Il apparaît cependant que l’usage de la notion de goût pour percer les secrets de la physiologie humaine refait régulièrement surface dans la médecine occidentale, pour aussitôt être abandonné, car trop « schématique ». Ce n’est pas le cas en Chine et en Inde, où herboristerie, médecine et « gastronomie » sont structurellement liées depuis des millénaires.

Pour ce qui est de l’Inde, mettons-nous d’accord : combien y a-t-il d’humeurs et combien de goûts fondamentaux reconnaît-on en Ayurvéda ?

Selon l’Ayurvéda, il existe trois humeurs ou « doshas » : Vata, Pitta, et Kapha.

Vata, le « vent » est la combinaison entre les éléments Air et Espace. Cette humeur est « invisible » en tant que telle, on ne peut que la « sentir » puisqu’il s’agit de l’ensemble des phénomènes des pressions dans le corps.

Pitta, l’humeur « bile », elle, se « voit », notamment par le fait qu’elle colore les tissus et les déchets du corps en jaune. C’est la combinaison entre les éléments Feu et Eau.

Enfin, Kapha, le « flegme », désigne la matière visqueuse qui accompagne les muqueuses du corps. C’est la combinaison entre les éléments Eau et Terre.

Ensuite, l’Ayurvéda reconnaît six saveurs : sucrée, salée, amère, astringente, piquante et acide. C’est plus que la science moderne, qui reconnaît aujourd’hui cinq saveurs fondamentales : sucré, salé, amer, acide et « umami »[3].

Elle ne prend donc pas en compte le piquant et l’astringent. Mais peu importe, ce qui nous intéresse dans cette lettre est le lien entre les saveurs et la manière dont les aliments et les plantes agissent dans le corps, et non de comprendre les saveurs en elles-mêmes.

En Ayurvéda, ce lien entre saveurs et humeurs a été théorisé d’une manière systématique et se situe au fondement de l’herboristerie et de la diététique ayurvédiques.

C’est une « table » de correspondance que tout étudiant en Ayurvéda doit apprendre par cœur.

 

Laissez-moi maintenant vous guider dans cette exploration du goût, saveur après saveur.

Le sucré nourrit… trop

À mon sens, la première chose qu’il faut retenir avec la saveur sucrée, c’est qu’elle est « nutritive », « brhmaniya » en sanskrit.

Cela veut dire que lorsqu’on mange quelque chose de sucré, on prend du poids.

Cela ne vous aura pas échappé… Il est clair qu’envisager un « régime sucré », à base de pâtisseries, pour diminuer notre embonpoint, est à l’évidence contre-productif ! En terme ayurvédique, la saveur sucrée augmente donc Kapha, le flegme.

Quel est alors son intérêt en termes d’équilibre des doshas ? Eh bien, elle diminue les doshas Vata et Pitta. La production de flegme « lubrifie » les tissus qui ont tendance à s’assécher par l’action du « vent » interne.

Plus le corps est lubrifié, plus il s’assouplit, moins il y a de vent. On appelle aussi la saveur sucrée « douce ». Cela suggère son caractère apaisant.

Une substance sucrée calme donc le feu, et diminue le dosha Pitta. Des plantes aux saveurs naturellement sucrées, il en existe dans la nature : c’est le cas de la réglisse.

Le salé chauffe et assèche

La saveur salée augmente notre feu digestif.

Bien des plantes aux saveurs salées sont donc apéritives, comme les algues, les feuilles de céleri ou de céleri sauvage, la livèche.

En activant notre feu interne, cette saveur augmente le dosha Pitta.

Nous avons vu que le sel était également lié à l’élément Eau dans notre corps.

La saveur salée augmente donc le dosha Kapha en retenant l’eau, d’où le fait qu’elle soit contre-indiquée lorsqu’on cherche à en faire la vidange par des diurétiques (des substances qui ont la vertu de chasser l’eau du corps).

Le pouvoir échauffant des sels permet de contrebalancer la froideur du vent, et de le « réorienter » dans le tube digestif.

Les sels sont lourds, à la différence du vent, qui lui est léger.

Le salé diminue donc Vata.

L’amer stimule la digestion

Les médecins européens du Moyen Âge reliaient la saveur amère à la bile et y voyaient un signe de l’élément Feu.

La médecine moderne continue à employer cette logique des Anciens en remarquant que les substances amères favorisent effectivement, d’un point de vue scientifique, la production de bile, et donc la digestion.

Les Indiens ont retenu quant à eux autre chose à propos de l’amertume. Constatant que bien des plantes amères sont capables de chasser les fièvres, et d’apaiser en général le feu du corps, ils ont en conclu que l’amertume apaise Pitta.

Les plantes amères diminuent également le flegme, Kapha, car elles sont souvent desséchantes. Par contre, elles augmentent le dosha Vata, pour la même raison.

L’amertume est extrêmement répandue au sein du monde végétal. Des exemples typiques sont le pissenlit, la gentiane, la chicorée sauvage, la bardane, ou encore, pour ce qui est de la pharmacopée indienne, le margousier indien ou « neem », Azadirachta indica.

L’astringent dessèche

C’est pour nous la saveur la plus mystérieuse. On reconnaît une substance astringente à la manière dont elle assèche notre palais en resserrant les tissus. C’est ce qu’on appelle « l’âpreté ».

Faisons un exercice pratique.

Si vous arrivez à l’identifier lors de vos balades dans les champs, essayez cet automne de croquer dans une petite prunelle de haie.

 

Oubliez son acidité et son petit côté sucré dû au fait que c’est un fruit, et vous comprendrez ce que veut dire « astringence » !

En effet, la prunelle contient énormément de tanins, ce sont ces substances qui expliquent l’astringence, et qu’on retrouve dans les fruits rouges par exemple.

Comme pour l’amertume, la vertu desséchante de la saveur astringente fait qu’elle diminue Kapha.

Elle apaise également Pitta, car la bile est considérée comme une forme « d’huile » chauffante dans le corps. En la desséchant, cela protège le corps de son pouvoir irritant.

À l’inverse, la saveur astringente augmente Vata.

Le piquant détoxifie

Je vous parlais du piment qui augmente le feu. La saveur piquante augmente donc Pitta.

On associe souvent le piquant à la gastronomie indienne, et à juste titre !

Mais on oublie souvent qu’elle nous accompagne au quotidien dans notre gastronomie locale : le poivre, l’ail ou la moutarde par exemple.

La saveur piquante irrite les papilles, on peut la reconnaître de manière un peu plus subtile dans les « herbes de Provence » comme le thym ou la sarriette.

En effet, bien des plantes de garrigue, étant fortement exposées au soleil, sont en affinité avec l’élément Feu, donc piquantes.

L’intérêt du piquant en herboristerie ayurvédique réside dans son pouvoir détoxifiant et anti-flegmatique : les plantes piquantes diminuent donc le dosha Kapha en nous. Enfin, le piquant dessèche et excite, ce qui signifie qu’il augmente Vata, particulièrement à haute dose, si son usage est prolongé et régulier dans le temps.

L’acide chauffe et alourdit

Les Indiens partagent les vues des Grecs de l’Antiquité au sujet de la saveur acide : elle est effectivement en affinité avec l’élément Terre.

À la nuance près qu’ils considèrent que s’ajoute l’élément Feu à sa composition « élémentaire ».

On peut avoir à l’esprit l’image d’une lave volcanique. D’ailleurs, les sols volcaniques sont très acides.

Les plantes aux saveurs acides, par leur nature « ignée » (faite de feu), augmentent Pitta, et par leur nature « terrienne » augmentent Kapha.

Elles diminuent a contrario Vata par le fait qu’elles sont généralement chauffantes et lourdes. L’exemple le plus classique d’une plante majoritairement acide de goût est l’oseille.

Exercez votre palais pour mieux vous soigner !

Les saveurs offrent donc une indication cruciale en Ayurvéda de l’effet que va avoir une plante comestible sur les doshas.

Bien sûr, la plupart des plantes contiennent plusieurs saveurs, parfois très subtiles.

Prendre soin de sa santé selon l’Ayurvéda, c’est donc aussi affiner son palais pour être capable de distinguer différentes saveurs.

Si vous voulez vous entraîner, faites très attention à bien identifier botaniquement une plante avant de la goûter, et en cas de doute, recrachez, comme si vous goûtiez du vin avec des experts œnologues.

Je vous conseille de commencer simplement : goûtez les épices de votre cuisine, ce sont des plantes !

Et essayer d’en distinguer les saveurs. Grace au tableau que je vous ai confié, vous comprendrez assez simplement l’effet de celles-ci sur vos doshas.

Je termine cette lettre sur une excellente nouvelle : mon projet autour de l’Ayurvéda touche à sa fin : il sera bientôt prêt. J’ai hâte de vous le faire découvrir !

Gardez un œil sur votre messagerie, et à très bientôt !

Morgan Vasoni

 

 

 

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