Ici Hugo Berger.
Il est 1 h 30 du matin et je n’arrive pas à dormir. Alors, je vous écris cette lettre un peu… Inhabituelle.
Je voudrais profiter du calme de la nuit pour vous dire des choses importantes — en tout cas importantes pour moi et je l’espère, pour vous aussi.
Je veux vous parler de l’ennui…
Ma journée a été ennuyeuse – à un détail près qui est la véritable motivation de cette lettre.
Lever à 6 h 30, petit déjeuner en écoutant la radio.
Toujours les mêmes intrigues politiques qui se répètent d’année en année. Je ne sais même plus qui sont les acteurs de ce jeu de dupes : Macron, Attal, l’inflation, l’école… La guerre ici, la guerre là-bas…
Un café, un peu de gymnastique et quelques étirements pour la forme. Puis le même petit bus qui descend les mêmes petites rues pour rejoindre mes petits bureaux. Dans l’ascenseur, des collègues : un petit bonjour par-ci, un autre bonjour par là, “salut ça va” “oui et toi” etc — vous connaissez ça. Les bienséances, le devoir citoyen.
Puis le travail commence, je passe la matinée à écrire, à fouiller dans des études scientifiques, comme les autres jours.
Quand on fait la même semaine après semaine et même si on aime son travail… Il y a forcément des moments où l’on se sent lassé.
On accomplit ses tâches sans y prendre de plaisir, par automatisme, sans y mettre de vie… Presque par sacrifice. Et finalement, on devient triste et résigné.
Vous connaissez peut-être aussi ce sentiment…
Tout devient moyen, normal, habituel, sans fioriture, sans débordement. Et comme cette normalité peut être parfois pesante !
On voudrait qu’il se passe quelque chose de fou, mais rien ne vient.
Et voilà où je veux en venir.
Vous devez vous méfier de l’ennui, car je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je crois qu’à force de s’ennuyer, on est prêt à tout pour un peu de nouveauté.
En bien… Ou en mal.
Quitte à s’attirer des problèmes pour un peu de changement.
Pour un être humain, même un drame est préférable à l’ennui.
Et je suis certain que notre inconscient est capable de nous attirer bien des soucis juste pour s’occuper…
Des soucis avec votre banque, votre assurance, un accident, un conflit, ou toute autre mésaventure. Y compris des problèmes de santé.
Mon père médecin m’en a souvent parlé, c’est un phénomène connu dans le monde médical.
Les gens semblent parfois tomber malade pour donner un sens à leur vie. : “je suis quelqu’un qui a un cancer (ou des problèmes de dos ou n’importe quoi), j’ai un combat à mener”.
Ces patients finissent par s’accommoder de leur maladie et à s’identifier à elle. Les Anglo-Saxons appellent ça “illness identity” (l’identité de la maladie)… La guérison devient alors plus difficile encore, car le malade construit son identité autour de sa pathologie.
La personne n’a pourtant rien à gagner, hormis le “statut de malade”.
Certaines personnes en parfaite santé vont même jusqu’à simuler, consciemment ou non, une maladie pour obtenir ce “statut de malade” et avoir l’attention de leurs proches et du corps médical.
C’est le “syndrome de Münchhausen”.
Ceux qui en sont atteints vont jusqu’à faire des dizaines d’examens médicaux et parfois des opérations lourdes, car elles parviennent à se persuader et à convaincre les soignants qu’elles sont bel et bien malades.
C’est aussi de ce syndrome dont parle Molière dans sa pièce Le malade imaginaire. Argan, un homme veuf qui s’ennuie profondément, se persuade d’être malade ainsi que tout son entourage.
Heureusement pour moi, malgré l’ennui, rien de tel n’est arrivé aujourd’hui. Au contraire.
J’ai pris l’autre direction.
Le midi, je suis allé me promener dans les rues attenantes à mes bureaux et dans une petite rue piétonne, mon attention s’est arrêtée sur la devanture de ce magasin d’appareils photos :
Adolescent, j’adorais prendre des photos.
Je décide donc de rentrer, sur un “coup de tête” et deux minutes plus tard, je ressors avec ce vieux Minolta argentique d’occasion, pour 40 euros :
Puis je reprends mes déambulations dans les rues voisines, mais cette fois, avec mon appareil autour du cou.
Et déjà le décor autour de moi n’était plus tout à fait le même.
Je veux dire par là que, comme j’avais mon appareil avec moi, je “guettais” ce que je pouvais prendre en photo, je regardais les choses avec un oeil nouveau.
Au milieu de ces rues que je pensais connaître par cœur, je voyais soudain les perspectives se dégager, je me laissais surprendre par des jeux d’ombre et de lumières, par des scènes et des visages auxquels, quelques minutes plus tôt, je n’aurais pas prêté la moindre attention !
Pourtant, rien du monde qui m’entourait n’avait changé.
J’avais juste un prétexte pour le voir différemment, avec un regard neuf. Et cette journée qui avait commencé de façon si banale devenait comme un grand jeu… Je ressentais une sorte d’excitation infantile, une envie de faire quelque chose, de la curiosité !
Tout d’un coup, j’étais vivant.
J’en arrive enfin à ce dont je voulais vous parler.
Je ne vous connais pas personnellement, mais je peux vous l’affirmer : vous méritez de vivre pleinement.
On se fait tous une idée un peu surfaite de ce que cela veut dire. On se dit que “vivre pleinement”, c’est faire des voyages, de grandes aventures, aller au théâtre, s’inscrire à des cours de sport ou de cuisine et rencontrer des centaines d’amis.
Je ne le crois pas.
Cette histoire d’appareil photo en est la preuve. Une toute petite chose, avoir mon appareil photo autour du cou, sans même prendre une seule photo, a suffi à me combler de joie pour le reste de ma journée.
L’aventure est à votre porte, sous vos pieds, devant vous. Elle est plus simple et plus accessible qu’on le croit.
Prenez ma mère par exemple…
La pauvre s’ennuie beaucoup, elle reste chez elle parfois des jours entiers sans sortir. Elle a du mal à retrouver de la motivation pour quoi que ce soit.
Une de ses amies qui voulait bien faire lui a conseillé de s’inscrire à des cours de cuisine. C’est un beau projet.
Résultat : elle ne s’y est rendue qu’une seule fois, puis n’a cessé d’annuler ses rendez-vous. Ce qui, en plus, l’a fait se sentir coupable de ne pas aller au bout de ses décisions.
Quand je l’ai eu au téléphone, je lui ai demandé : « Mais maman, est-ce que tu as déjà vraiment aimé cuisiner… ?
– Non, c’est vrai.
– Qu’est-ce que tu aimes vraiment, toi ? »
Je lui ai dit d’arrêter de se sentir coupable et de ne pas essayer de se forcer à faire des choses qui ne l’intéressent pas vraiment… Et de chercher plutôt dans son enfance ce qui l’animait et provoquait sa curiosité.
« J’aimais observer les oiseaux, j’étais passionnée par l’ornithologie »
Je lui ai donc offert une paire de jumelles.
Elle a commencé à observer les rouges-gorges, les mésanges et les pinçons depuis sa fenêtre.
Puis quelques semaines après, elle est sortie en forêt pour trouver d’autres espèces, et voilà qu’elle vient de réserver un petit hôtel en Camargue dans un parc naturel pour se consacrer à sa vieille passion quatre jours entiers !
Alors je vous pose la question.
Si vous avez l’impression de tourner en rond, qu’est-ce que vous aimez, vous ?
Qu’est-ce qui pourrait vous aider à retrouver de la curiosité pour le monde qui vous entoure et qui pourrait rendre vos journées plus joyeuses ?
Si vous avez toujours aimé rencontrer des gens, pas besoin d’aller dans des clubs de lecture ou de bridge… Commencez par discuter avec votre boulangère, avec votre épicier, peu importe. Posez-lui des questions sur son histoire, sur ses enfants, sa famille…
Vous pouvez aussi faire comme moi, prenez un appareil photo ou votre téléphone et sortez une fois par jour pour prendre une photo, même une seule, de quelque chose qui retient votre attention ! Ça peut être tout et n’importe quoi. Ne soyez pas trop exigeant : une ombre, un panneau, un chien…
Si vous recommencez tous les jours, vous allez voir, votre œil va peu à peu s’aiguiser, votre curiosité pour le monde se développer. Et vos journées vous sembleront beaucoup moins banales.
L’ennui va peu à peu s’effacer de votre quotidien.
Vous pouvez aussi écrire. Pareil, pas besoin de vouloir jouer les grands écrivains. Tenez un journal de bord. « Aujourd’hui mon mari m’a dit ceci, j’en ai pensé cela », « J’ai entendu ceci à la télévision, je trouve que… etc »
Écrivez une lettre à un proche, comme je le fais maintenant.
Vous avez compris, il y a mille façons d’insuffler l’euphorie et de la gaieté dans votre vie.
Et je crois que c’est important, car comme le disait le philosophe Alain : “l’ennui est un des visages de la mort”.
Je vais m’arrêter ici pour aujourd’hui, je voulais partager avec vous ces pensées nocturnes qui, je l’espère, vous aideront à réenchanter un peu votre quotidien comme elles m’ont aidé moi-même.
Je vous dis à bientôt.
Sincèrement,
PS : Je vous joindrai mes premières photos dans ma prochaine lettre.
PPS : J’aimerais beaucoup savoir ce que VOUS faites pour redonner de la joie à votre vie. Qu’est-ce qui vous rend curieux ? Si vous trouvez votre vie répétitive, qu’aimeriez-vous faire ? Je suis certain que le simple fait de le confier ici pourra vous donner envie d’agir : je donne mon avis.
PPPS : Je vous parlais plus haut du Malade imaginaire de Molière. Voici une représentation de la Comédie Française qui pourrait être une chouette occupation dans un moment d’ennui.
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Très instructif ! Toujours sympa a méditer vos reflexions
merci !
Bonjour Quand j’ai lu votre mail je me suis reconnue à des périodes différentes de ma vie !Il est vrai que l’ennui est terrible! Je pense souvent à la chanson de Johnny Hallyday “Donnez moi l’envie d’avoir envie “Sublime! La 1ère fois que je l’ai entendue j’étais prise par une émotion incroyable! CE que vous écrivez resonne en moi! J’ai fait un très long travail sur moi et j’ai réglé beaucoup de problèmes! Depuis quelques temps, je retraverse une période où je me sens éteinte! Pas d’énergie! Tout est bof! Je suis en retraite depuis 3 ans et suis divorcée!… Lire la suite »
Merci pour ce magnifique témoignage sur l’ennui : juste une petite question : avez vous pensé à mettre une pellicule dans votre appareil photo? nous attendons les résultats !
Avec toute mon affection !
Gabriel
Merci Hugo d’avoir osé dire ce que je pense depuis longtemps, et certainement bien d’autres avec moi…. à savoir que les gens qui sont chroniquement malades ou qui ont toujours “un pet de travers” le sont peut-être parce que quelque part, ils le veulent bien, quelque part dans leur inconscient s’entend. C’est cruel à dire mais la maladie est non seulement une forme d’identité (“ah mais moi, je suis un cas à part, ce qui marche pour le commun des mortels ne marche pas pour moi”, etc.) mais aussi un refuge, un alibi pour se faire plaindre et rejeter la… Lire la suite »
Merci pour votre article qui fait du bien
Bonjour,
Et ça me fait de bien de savoir que ça vous fait du bien !
Merci pour votre commentaire,
À bientôt
HB