Nous avons tous, quelque part dans notre tête, l’idée que nous pourrions, si nous le voulions, nous détendre, profiter de la vie, être heureux. Il suffirait d’arrêter de s’en faire, de se prendre la tête.
Ainsi nos problèmes, notre stress, nos angoisses pourraient disparaître ! Nous pourrions, à nouveau, dormir d’un sommeil profond !
Et comme, en plus, le stress augmente le risque cardiaque, le risque de grignotage (et donc d’obésité et de diabète), le risque d’hypertension, nous détendre pourrait aussi nous faire gagner des années de longévité !
Alors, qu’est-ce qui nous retient ?
Ce qui nous retient, évidemment, c’est que le stress et les angoisses ne sont pas quelque chose que nous décidons. C’est quelque chose qui nous tombe dessus, comme la pluie, ou l’orage, et nous ne pouvons rien y faire pour l’arrêter.
Le Dr Sigmund Freud disait : “ Vous n’êtes pas le maître dans votre propre maison.”
Certaines personnes naissent avec un tempérament anxieux, pessimiste, dépressif. Elles broient du noir, s’inquiètent, paniquent à toute occasion. Leur intimer de se détendre ne sert à rien. Aussi sympathique que soit la chanson “Don’t worry, be happy” (ne t’en fais pas, soit heureux), elle ne leur procure qu’une détente bien passagère qui cessera dès que ressurgit la réalité de leur vie. Les psychologues savent aujourd’hui mesurer cette tendance à l’inquiétude qu’ils appellent “neuroticisme”, ou tendance à la neurose.
Des années d’effort sur soi-même, de réorganisation de votre vie peuvent vous apaiser un peu, mais il est vain d’espérer passer du tout au tout.
Alors, pour mieux accepter cette fatalité, et voir le bon côté des choses, je vous propose de relire le Livre de la Jungle, de Rudyard Kipling. A travers les aventures du jeune Mowgli, il traite merveilleusement de la question du stress et des insomnies, et apporte des réponses bien réconfortantes.
Vous vous souvenez en effet que Mowgli, qui a été recueilli bébé par une meute de loups. Il a désormais grandi, et les animaux ont décidé qu’il était temps pour lui de rejoindre le village des hommes.
De façon symbolique, cela représente le moment où l’enfant doit quitter le monde imaginaire de ses animaux en peluche, et accéder au monde des adultes. Car dans la “vraie” jungle, évidemment, avec de “vrais” animaux, un bébé humain ne fait pas long feu…
Pour parvenir au village des hommes, Mowgli est guidé par Bagheera, la panthère. Bagheera est particulièrement habile, musclée, compétente, prudente… et soupe-au-lait. Elle est capable d’anticiper tous les dangers, connaît le chemin, sauve d’ailleurs Mowgli en de multiples occasions. Mais elle ne parvient pas à nouer avec Mowgli une relation d’affection authentique et de confiance. Malgré tout ce qu’elle fait pour lui, Mowgli ne lui manifeste aucune gratitude. Bien au contraire, il ne songe qu’à lui désobéir, lui fausser compagnie. Il n’est absolument pas prêt, ni capable, de profiter de ses leçons, qui lui seraient pourtant bien utiles.
Bagheera représente, dans la vraie vie, le grand-père moralisateur, l’instituteur sourcilleux, le petit patron râleur. Ils sont travailleurs, compétents, expérimentés. Mais ils énervent tout le monde. De leur côté, comme ils accomplissent tous leurs devoirs à fond, et qu’ils ont l’impression que les autres ne sont jamais assez sérieux, ils développent un sentiment d’injustice qui les rend aigris et les coupe des autres.
Divine surprise, voilà que surgit l’ours Baloo. Mowgli n’hésite pas une seconde, et se précipite sans ses bras. Immédiatement, il considère Baloo comme son “ami”, alors que celui-ci n’a rien fait de concret pour lui.
C’est que Baloo sait rire, s’amuser, faire le pitre, danser, se déguiser. Il est le prototype de la personne décomplexée (il ne se soucie pas le moins du monde de sa silhouette pourtant annonciatrice de problèmes cardiovasculaires et de prédiabète). Il ne maîtrise pas sa force et assomme Mowgli en voulant “jouer”. Mais celui-ci ne lui en tient pas rigueur. Baloo l’emmène dans la mauvaise direction, oublie de veiller sur lui, s’endort, et le met en grave danger lorsque Mowgli se fait enlever les singes Bandar-Log. Ses tentatives pour le libérer échouent et tournent à la catastrophe lorsqu’il déséquilibre le temple qui s’effondre sur eux. Mowgli et Baloo ne sont sauvés, de justesse, que par l’intervention de Bagheera, une fois de plus.
La signification symbolique de cette histoire est, évidemment, que tout a un prix dans la vie.
Certes, on rit, on danse, on rigole avec Baloo, qui a d’ailleurs exactement la voix qu’il faudrait pour chanter “Don’t worry, be happy”. Mais on n’est pas en sécurité. Dans la jungle, autrement dit dans la vie, on vous présente très vite la facture. Et celle-ci est souvent disproportionnée avec ce que l’on avait fait. J’avais “juste” oublié de mettre de la laine de verre autour de mes tuyaux, et voilà que toute ma tuyauterie a éclaté lorsqu’il y a eu une vague de froid. J’avais juste bu un petit verre de trop avec mes amis, et je me retrouve handicapé à vie après un terrible accident…
Baloo est sympa et attirant. Mowgli se laisse entraîner. Mais tous les deux doivent bien vite payer le prix de leur insouciance.
Autre remarque sur Baloo : à première vue, il paraît “cool”, donc “gentil”, et Mowgli, qui n’a pas encore l’expérience de la vie, imagine qu’il n’a pas besoin de se méfier.
En réalité, Baloo est surtout immature et n’a pas conscience de sa propre force, et ne maîtrise pas son agressivité.
Cela se voit une première fois lorsqu’il apprend à Mowgli à crier. Le Baloo si sympa pousse soudain un rugissement effrayant, découvrant de grandes dents acérées (rappelons que les ours sont des fauves) qui, à juste titre, terrorise Mowgli. Il en va ainsi des personnes immatures qui n’ont pas encore découvert leur “ombre”, selon l’expression de Carl G. Jung, c’est-à-dire leur face sombre. Elles se croient donc inoffensives, et elles ne savent pas qu’elles peuvent faire du mal, ce qui les pousse à manquer de vigilance et donc à devenir redoutable pour les autres.
A une autre occasion très symbolique, Baloo va révéler qu’il est vraiment très dangereux. Cela se produit dans la scène chez les singes, où il affronte le roi des Bandar Log, qui est un orang-outan. Celui-ci incarne le roi décadent, le chef qui, au lieu de régner et assumer ses fonctions au service de son peuple, ne songe qu’à s’amuser et à se battre. Toutefois, lorsque le temple menace de s’effondrer (temple qui symbolise l’ordre établi, la civilisation), il est rattrapé par un scrupule. Il abandonne tout et se sacrifie pour sauver l’édifice. Au sens propre, il sert à nouveau de pilier à la société des singes, puisqu’il remplace une colonne et tient le temple sur ses bras. Mais Baloo, le voyant les bras en l’air, est à nouveau saisi par ses instincts de gamin. Il ne peut résister à la tentation d’aller lui faire des chatouilles sous les aisselles, ce qui est totalement irresponsable et, vous vous en souvenez, provoque l’effondrement final.
Alors voici une bonne pensée consolatrice, lorsque vous vous réveillez, angoissé, à quatre heures du matin.
Certes, vous n’êtes pas en train de “profiter du moment présent”. Ni de vous amuser.
Vous êtes de mauvaise humeur, comme Bagheera, et peut-être avez-vous à côté de vous un “Baloo” qui ronfle comme un bienheureux. Vous aimeriez être à sa place. Pouvoir, vous aussi, ne plus vous en faire.
Mais ces moments où votre esprit vous réveille la nuit ne sont jamais perdus. Ce sont des moments où vous ressassez des problèmes qui doivent être ressassés. Car votre cerveau n’est pas idiot. S’il préfère vous réveiller plutôt que de prendre un repos bien nécessaire, c’est parce quîl y a urgence pour vous. Vous devez chercher une solution, et ces moments d’activité cérébrale intense peuvent vous aider à prendre une meilleure décision le matin venu.
Et ce n’est pas parce que vous ne trouvez pas la solution que ça ne sert à rien d’y avoir passé des nuits d’insomnies
Non, au contraire, ces moments d’efforts nocturnes sont nécessaires pour arriver, le cas échéant, à la certitude que votre problème est insoluble, et que donc il va falloir prendre des décisions douloureuses pour apprendre à vivre avec.
Cela vous permet d’arriver donc à l’état de résignation, ce qui est un moindre mal, comme la fin d’un deuil. Mais vous ne pouvez atteindre cet état que lorsque vous êtes certain d’avoir épuisé tout le spectre des solutions possibles.
Bagheera ne peut dormir que bien en sécurité en hauteur sur une branche d’arbre.
Baloo, lui, dort comme un bienheureux en se laissant emporter par le courant d’une rivière, qui l’entraîne vers des dangers qu’il n’a pas anticipés. A court terme, la vie de Baloo paraît plus facile. Mais c’est bien grâce à Bagheera que Mowgli arrivera, sain et sauf, au village des hommes.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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je relis votre article plusieurs mois après et je le trouve excellent, vraiment édifiant, j’ai vu le film, lu la bande dessinée, mais jamais je n’ai analysé le scénario de cette magistrale façon….. Merci à vous Mr Dupuis l
Merci beaucoup pour votre article. J’ai probablement lu le bouquin trop jeune, je ne m’en souviens pas bien. De ce fait j’essaierai de le relire s’il me tombe sous la main.
Mais n’oublions pas qu’à la fin, quand Mowgli fait face à Shere Khan, le plus grand des dangers de la jungle, et gagne contre lui, c’est grâce à lui-même, pas à Baloo ni Bagheera… Les deux l’aident, mais c’est lui qui prend la décision d’affronter Shere Khan et les met devant le fait accompli, et c’est lui qui gagne le combat, grâce au feu, comme un homme… Alors peut être que le mélange des deux approches lui ont été bénéfique finalement, il fallait peut être un peu de l’anxiété et de la rigueur de Bagheera mélangée à l’insouciance et l’optimisme… Lire la suite »
très très beau et instructif merci beaucoup
Bonjour,
Je vous remercie pour ce texte concernant les réveils nocturnes.
Bonne journée
Merci…merci…merci….pour cet article MERVEILLEUX !!! et d’une justesse incroyable,
bien cordialement,
Josiane