Si les lois antidrogue devaient être effacées et réécrites sur des bases scientifiques, la substance qui devrait être la plus réprimée par les autorités ne serait pas l’héroïne, la cocaïne, ni même le « crack ».
Ce serait l’alcool.
Aucune drogue n’est aussi terrible que celle-là.
Mais il n’y a aucune drogue qui réunisse à la fois tous ces dangers.
Aucune, sauf… l’ALCOOL.
Attention : je ne suis pas en train de vous faire un petit « catéchisme citoyen ».
Je laisse les médias et les Autorités de santé appeler les gens à « la modération », ou même à l’abstinence.
Personnellement, je trouve exagérées les sanctions que l’on prend contre les automobilistes qui ont 0,2 g d’alcool dans le sang, un taux que l’on atteint facilement sans boire une goutte d’alcool.
Savez-vous que de l’alcool se forme naturellement dans votre tube digestif par fermentation des sucres ? Il suffit pour cela de manger des pommes de terre ou des fruits, et d’avoir certaines levures dans les intestins (d’où ces personnes qui se font « sucrer » leur permis c’est le cas de le dire alors qu’elles n’ont pas bu [1]).
Je dirais même plus : je suis partisan de boire de l’alcool régulièrement. Le vin rouge contient des polyphénols comme le resvératrol, le tyrosol et l’hydroxytyrosol, qui protègent le cœur et les artères. Un bon verre de vin rouge apporte des quantités de nutriments intéressants, à condition de l’accompagner d’une alimentation saine, riche en légumes, fruits, poisson, viande et graisses de bonne qualité.
Et puis… c’est bon ! Le vin réjouit le cœur, et il n’y a pas de mal à ça.
Bien entendu, j’en appelle aussi au bon sens et aux traditions.
N’oublions pas que, dans notre société, l’alcool fait partie des mœurs et que nous en avons acquis une extraordinaire maîtrise.
Depuis des millénaires, nous faisons fermenter des jus de fruits (vin, cidre) ou de céréales (bière), principalement pour des raisons d’hygiène : l’alcool désinfecte et les levures de fermentation empêchent les bactéries dangereuses de s’installer.
Avant l’invention des frigos et de la pasteurisation, les boissons fermentées étaient moins dangereuses que l’eau, toujours susceptible de transmettre des maladies. Sans barriques d’alcool, nous n’aurions pas pu développer la navigation et explorer le monde, car l’eau douce croupit rapidement dans les tonneaux et les outres.
Moyennant quoi, nous nous sommes familiarisés avec l’alcool à un degré dont nous ne sommes en général pas conscients.
Comme pour la maîtrise du feu, il est important d’enseigner à nos enfants à utiliser l’alcool avec prudence, dans un cadre précis.
N’oublions pas que nous bénéficions d’une connaissance sociale très profonde de ce qu’on peut faire ou non avec l’alcool. Nous savons, en particulier, que le vin se boit à table, que les alcools forts se boivent en apéritif ou en digestif, juste avant ou après un gros repas. Qu’il faut être extrêmement prudent à jeun, se méfier des mélanges, et que les quantités à absorber sont strictement encadrées : « un doigt, une larme, un soupçon… », etc.
L’alcool est une catastrophe là où il n’y a pas cette connaissance.
En revanche, l’irruption de l’alcool dans des sociétés ou des groupes sociaux qui n’y sont pas préparés conduit immanquablement à des accidents, voire à des ravages sociaux.
Indiens d’Amérique, ouvriers déracinés dans les grandes villes autrefois, jeunes loin de leur foyer…
Ce n’est pas un hasard si la pratique du « binge drinking », activité bizarre où les jeunes boivent d’un coup un litre de tequila, de vodka ou de mauvais whisky, puis tombent dans un coma éthylique, se retrouve dans les sociétés anciennement protestantes et puritaines d’Europe du Nord ou d’Amérique où l’alcool était vu comme une invention du diable et faisait l’objet d’une totale prohibition, ainsi que parmi les émirs du Moyen-Orient, lorsqu’ils sont en Occident, à l’abri des lois sévères de chez eux.
Mais l’habitude de l’alcool et de ses dangers ne protège pas pour autant complètement des risques de l’alcoolisme. Ce serait trop beau.
Parce qu’il donne de l’euphorie, supprime les inhibitions, détend, fait oublier les soucis, l’alcool peut vite devenir un mauvais compagnon dans les périodes où nous sommes vulnérables.
Alors, peu à peu, sans nous en rendre compte, nous pouvons augmenter notre consommation d’alcool, construire une accoutumance, puis une résistance, et enfin… une dépendance.
Et c’est là que peut surgir le spectre hideux de l’alcoolisme.
Je ne vais pas ici décrire en détail l’enfer que vivent les alcooliques et leurs familles, les désastres humains, sociaux, physiques, que provoque l’alcool.
Chacun a, malheureusement, des exemples dans son entourage de cette catastrophe, et si ce n’est pas le cas, il suffit de lire Émile Zola, Houellebecq ou tant d’autres.
Mon propos est d’aller directement aux solutions, sachant qu’elles sont compliquées.
D’abord, il y a le problème du delirium tremens. C’est cet accident potentiellement mortel, par arrêt cardiaque et déshydratation, quand l’alcoolique cesse soudainement de boire. L’alcool, en effet, est la seule « drogue » qui crée une telle dépendance que la personne risque de mourir si elle en est sevrée brutalement. Cela est lié à l’effet de l’alcool sur certains récepteurs du cerveau (récepteurs GABA), qui en ont besoin pour fonctionner.
Sans cela, c’est la crise nerveuse avec tremblements, transpiration, attaque de panique, épilepsie et, éventuellement, coma et arrêt cardiaque.
Il est absolument capital, donc, que le sevrage soit progressif, sur une quinzaine de jours, accompagné de prise d’antidouleurs et, probablement, de médicaments sédatifs (qui calment), d’anxiolytiques de type benzodiazépine (qui suppriment les angoisses), ainsi que de multivitamines enrichis en thiamine, acide folique et pyridoxine.
Les alcooliques sont, en effet, souvent carencés en nutriments divers, ce qui peut entraîner de graves complications lors du sevrage, tel le syndrome de Wernicke. Ces vitamines doivent leur être données en intraveineuse avant toute ingestion de liquide ou d’aliment glucidique.
Ce passage-là, aussi délicat qu’il soit, est bien maîtrisé par la médecine.
On peut aussi prendre du baclofène, tout récemment autorisé pour le sevrage de l’alcoolisme. C’est un anti-épileptique avec des effets anxiolytiques (relaxants). Le baclofène réduit aussi le désir d’alcool et mène à long terme à une indifférence à l’alcool, ce qui est très intéressant pour les alcooliques, car le risque de rechute reste majeur jusqu’à la fin de la vie.
Et c’est là que nous touchons au problème central de l’alcoolisme et à la vraie cause des difficultés du sevrage.
Si les alcooliques ont tant de mal à arrêter l’alcool, c’est parce que l’alcool est, comme il est dit plus haut, très efficace pour procurer de la joie, du rire et de l’oubli !
Oui, l’alcool est extrêmement efficace pour procurer de la joie, du rire et de l’oubli. Cela peut fonctionner partout, quelles que soient les circonstances, que vous soyez au chômage, sous un pont, au fond d’une mine ou en prison.
Et c’est là tout le problème : son efficacité.
Sur le court terme, l’alcool marche. Et les alcooliques le savent bien.
Comme le chantait Jacques Brel dans sa terrible chanson « L’ivrogne » :
Non je ne pleure pas
Je chante et je suis gai
Mais j’ai mal d’être moi
(Vous pouvez l’écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=YeJjEezqi1I)
L’ivrogne de Jacques Brel sait que, grâce à l’alcool, il va pouvoir « retrouver des amis et des rires ».
L’alcool met des couleurs sur une vie triste, désespérée. Il transforme une pièce sordide, avec des amis alcooliques qui souffrent autant que soi, en un lieu de fête.
Ce qu’il y a de plus difficile pour l’alcoolique n’est pas d’arrêter de boire, c’est de réapprendre à vivre sans le soutien de l’alcool.
Tels sont les véritables et effrayants défis qui attendent l’alcoolique qui aura décidé de tourner la page.
Si vous ajoutez à cela de très probables soucis de santé graves (problèmes cardiovasculaires, cirrhose du foie, cancer digestif), une probable ruine financière, une carrière professionnelle détruite, un couple et une famille perdus, on comprend que ce n’est pas le ministère de la Santé avec ses campagnes d’information qui peut aider ces personnes à sortir d’une si grave situation.
Non, la solution, une fois de plus, n’est pas à chercher du côté de la technique, de la chimie, ni des aides sociales en tout genre.
La solution ne peut venir que par le double mouvement :
Sur ce second point toutefois, il faut avoir conscience que cette aide, cet amour, ne peuvent malheureusement pas fonctionner si l’impulsion ne vient pas d’abord de la personne alcoolique elle-même.
Comme toujours, la première condition pour guérir est d’abord que la personne souhaite guérir.
Il faut pour cela qu’elle prenne conscience qu’elle est malade, qu’elle décide de se soigner et qu’elle comprenne que le but, à savoir la vie quand elle sera guérie, est préférable à son état actuel.
Ce point-là est très problématique, parfois ou souvent insoluble.
Une personne qui aura, d’une part, beaucoup souffert dans la vie, qui aura été abandonnée, trahie, blessée, et qui, d’autre part, se sera convaincue qu’il n’y a de toute façon aucun espoir dans ce monde, aucune voie pour aller mieux, ne pourra pas être aidée par quelqu’un d’autre, aussi aimant soit-il.
Au contraire, il y a un risque que ce soit la personne alcoolique qui « gagne ». Qui parvienne à convaincre le bon Samaritain qui s’est arrêté pour l’aider, de désespérer lui aussi de l’existence, et de l’entraîner à boire !
La situation est alors hautement dangereuse. La plus grande prudence est de mise. Surtout dans un couple ou une famille.
Vu les dangers auxquels le conjoint ou les enfants non alcooliques se trouvent confrontés (accident domestique, accident de la route, violence, ruine financière, etc.), la priorité est alors de préserver les membres de la famille qui peuvent l’être.
Cela peut impliquer de douloureuses séparations, qui ne sont pas des abandons égoïstes et malveillants de la part de ceux qui partent, mais le seul moyen de limiter le nombre de victimes.
Pour empêcher que la personne qui coule n’entraîne les autres avec elle, à partir du moment où il est établi qu’elle ne leur donnera pas la possibilité de la sauver.
Ce passage est très difficile, mais parfois incontournable.
Il rappelle la règle des sauveteurs en mer, qui risquent leur vie pour sauver les autres.
Lorsqu’une personne qui est en train de se noyer fait de grands mouvements de panique, le sauveteur doit avancer les pieds en avant, pour se défendre.
En effet, le danger est que la personne qui panique s’accroche si fort au sauveteur que celui-ci ne pourra plus surnager.
Le message est clair, et c’est le suivant : « Je suis là pour t’aider, mais si je dois choisir entre te laisser mourir seule et que tu me fasses mourir avec toi, alors ce sera la première solution. »
Ce n’est pas de l’égoïsme. C’est le courage de regarder la situation telle qu’elle est, le danger tel qu’il est.
Maintenant, le réalisme ne conduit pas forcément au pessimisme.
Tous les jours, des personnes décident de cesser de boire, et s’y tiennent.
La difficulté pour l’alcoolique est qu’il ne pourra jamais reprendre la boisson, même « modérément ». Même au bout de dix ans ou vingt ans, boire un seul verre sera pour lui trop dangereux. Il doit donc faire preuve d’une discipline très grande.
Mais une discipline dont l’être humain est capable, à partir du moment où il comprend que la vie mérite d’être vécue, et non d’être oubliée, noyée dans l’alcool.
C’est ce message-là qu’il faut faire passer.
Parvenir à expliquer aux alcooliques, et aux autres, que la vie, malgré toutes ses difficultés, vaut mieux que le néant et que l’Homme peut trouver partout une forme de joie très profonde.
Cette joie n’est pas le plaisir, l’amusement de l’instant, mais la satisfaction d’assumer volontairement ses responsabilités de long terme, quelles qu’elles soient, plutôt que de fuir, mentir, tromper, manipuler les autres et soi-même.
La réflexion sur le sens de la vie, la sagesse, constitue la seule voie de salut possible, et c’est le travail de toute une vie que d’y parvenir.
À votre santé,
Jean-Marc Dupuis
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Bonjour, j’ai quitté il y a 3 ans un conjoint alcoolique, pour me sauver moi-même et limiter les dégâts sur les enfants. Il va mieux maintenant mais n’admet toujours pas son problème et ne comprends pas les causes de notre rupture. Merci de me les rappeler.
Je rejoins Andree Trinh et Papyllon quand ils disent que ce qui les a sauvé ce sont les Alcooliques Anonymes, cela fait maintenant 7 ans que j’ai moi-même réussi à devenir abstinente et je le dois à ce groupe que je continue de fréquenter, car quand on est alcoolique on l’est à vie, c’est une maladie. En effet, ce n’est pas une question de volonté. Seulement 1% des alcooliques arrivent à s’en sortir grâce à leur seule volonté ! Ce dont on a besoin, c’est d’entendre et de parler avec des personnes qui savent par où on passe, parce qu’elles… Lire la suite »
Je trouve cet article vraiment percutant c’est la première fois que je lis autant d’infos sur le sujet, je l’ai transféré déjà à une amie qui le fera suivre.Merci!
Bonjour, je m’appelle Andrée et pendant 20ans ,j’ai bu à en mourir.Jem’étonne qu’à la fin de votre article, vous ne disiez pas où cette aide nécessaire peut être prodiguée, gratuitement et efficacement:
Les groupes d’entr’aide et en particulier les Alcooliques Anonymes auprès desquels j’ai trouvé l’abstinence d’alcool depuis 23ans, une formidable joie de vivre, et une belle santé physique et morale.
Alors s’il vous plaît, ne privez pas les personnes en souffrance de cette solution simple, indolore et tellement bienfaisante sur le long terme!
Je vous remercie
Je suis moi-même alcoolique, je suis abstinent depuis 25 ans sans problème grâce aux ” Alcooliques Anonymes”. Tout autre démarche a échoué. Ce n’est pas un problème de volonté!!
merci a ,jean marc pour cette réflexion, très pertinente et très bien mise en page , puisse t elle être lu par le plus grand nombre….