Concurrence, compétitivité, efficacité, productivité, tels sont les maîtres-mots des sociétés modernes, entraînées dans la masse tourbillonnante de la production de masse, de la technologie performante, de l’informatique omniprésente et de l’obsession du profit et du pouvoir d’achat.
Cette frénésie collective n’est pas sans conséquences sur la santé des individus en termes d’extrême fatigue nerveuse et psychique, ce dont on commence tout juste à prendre conscience. Car, depuis quelque temps, une sorte de «maladie du travail» se répand dans les entreprises, et ce sont évidemment les plus consciencieux, les plus chargés de responsabilités – les cadres notamment -, les plus soucieux de bien faire, les plus émotifs aussi, qui sont confrontés les premiers à ce stress permanent. Et il peut advenir que celui-ci déborde complètement leurs défenses organiques, les amenant au stade d’épuisement émotionnel que les Américains nomment «Burn out» (qu’on peut traduire par «être consumé», «s’éteindre»).
Le drame de l’homme moderne, c’est que son cerveau et son système nerveux ne se sont guère modifiés au cours des cinq derniers millénaires, et sans doute pas du tout durant les deux derniers siècles. Or, quelle commune mesure y a-t-il entre le travail de notre ancêtre paysan de 1812 et celui de son descendant de 2012 vissé devant son ordinateur ? «L’homme est un étranger dans le monde qu’il a créé», déclarait déjà Alexis Carrel (Prix Nobel de médecine en 1910) qui pourtant ne connaissait pas encore la télévision, ni l’ordinateur, ni le téléphone portable.
Que dirait-il aujourd’hui ? Il ne pourrait que souligner sa sentence de deux traits appuyés. Chacun apprécie l’efficacité des moyens modernes de communication, mais on oublie qu’ils augmentent considérablement la pression mentale exercée sur chaque individu. Sacha Guitry disait déjà, en substance : «Avec le téléphone, n’importe qui vous sonne comme autrefois le maître sonnait son valet.» C’est terriblement exact ! Et Guitry non plus ne connaissait pas le portable.
Aujourd’hui, pour peu que vous occupiez un poste de responsabilité, il vous est pratiquement impossible d’échapper aux sollicitations de toutes sortes qui viennent à l’improviste vous déconcentrer et vous obligent à penser à trente-six choses à la fois. Comme ce n’est pas possible, vous en oubliez la moitié, d’où un stress supplémentaire, une anxiété au sujet d’une erreur éventuellement commise et un obscur sentiment de culpabilité qui finissent par user prématurément votre système nerveux.
Tant que vous êtes jeune et en bonne santé, vous tenez le coup à peu près, mais dès que vous passez la quarantaine, cela devient de moins en moins supportable. Or, les conditions économiques et sociales actuelles (mondialisation, allongement de la durée de vie, vieillissement des populations occidentales…) conduisent inexorablement à repousser l’âge de la retraite. Comment concilier ces deux impératifs contraires ? Entre usure nerveuse prématurée et nécessité de travailler plus longtemps, il y a téléscopage.
Ce sera la problématique principale des entreprises dans les vingt années à venir. Il leur faudra trouver le moyen de «déstresser» leurs employés, où elles subiront une baisse importante de productivité, tandis que la Sécurité Sociale, déjà si mal en point, croulera sous les arrêts de travail.
Certaines entreprises s’en préoccupent déjà, mais beaucoup ne s’en soucient guère ou se contentent de «rajeunir» leur personnel. Le Dr François Baumann, dans son ouvrage intitulé Burn out, quand le travail rend malade (Editions Josette Lyon) écrit : «Le paradoxe étant que la personne ainsi ”consumée” ne voit pas clairement les conséquences de son état : elle n’est pas encore consciente d’être entrée dans une pathologie. Elle va poursuivre son travail à un rythme effréné et même accéléré par rapport à ses habitudes… mais avec une absence d’efficacité, une redondance dans l’effort qui entretiendra cette démotivation générale en rapport avec la faiblesse des résultats obtenus.»
Car c’est en effet la démotivation qui menace le «consumé», dégoûté de constater que son redoublement d’efforts n’obtient pas les résultats souhaités. Ou bien, pire encore, il a recours à des subterfuges : tabac, alcool, drogues, somnifères, antidépresseurs, etc. pour masquer le problème sans le résoudre. Il peut tomber alors dans des addictions dont les méfaits viendront s’ajouter à son épuisement et l’enfermer dans une situation intenable dont il ne pourra plus sortir.
Une enquête de l’IFAS (Institut Français d’Action sur le Stress) et portant sur 13.000 personnes, montre que le facteur stress au travail représente aujourd’hui pour un homme sur cinq et pour une femme sur trois un élément de risque-santé important… On ne peut qu’être inquiet en ce qui concerne l’évolution rapide et prévisible des troubles psychiques, mais aussi des troubles articulaires et des douleurs musculaires; si rien n’est fait, c’est à une véritable explosion que l’on peut s’attendre dans les prochaines décennies.
Il apparaît clairement à tous les observateurs que le formidable développement de l’informatique a considérablement augmenté la pression quasi permanente sur le système nerveux des utilisateurs. C’est l’ensemble de la société moderne qui en pâtit, étant soumise tout entière à une «communication» de plus en plus envahissante. Sous une première apparence d’accroissement de liberté, il s’est en effet constitué peu à peu une sorte d’esclavagisme de l’informatique dont la prise de conscience se fait beaucoup trop lentement pour que les «parades» se mettent en place avant que les problèmes de santé qu’il engendre ne deviennent catastrophiques.
L’expansion de l’informatique n’est pas apparue immédiatement comme un danger, tout au contraire. Le caractère en quelque sorte «magique» de ses possibilités techniques a tout d’abord émerveillé, voire fasciné, ses praticiens à tous les niveaux. La facilité de son utilisation, après une courte formation, la rapidité et l’efficacité de sa mise en oeuvre sont apparues comme constituant un progrès technologique majeur et un facteur décisif de productivité accrue, doublée même d’une sorte d’ «amusement», à propos duquel il fallut bientôt déchanter. Car si la «triple associée» clavier-souris-écran est on ne peut plus attractive, comme on le constate notamment sur les adolescents, elle soumet nos organismes de façon insidieuse à une complète dépendance à la machine qui a des effets ravageurs. Essayons d’établir le catalogue de ses méfaits, dont nous sommes trop souvent inconscients :
L’ordinateur immobilise notre corps dans une position fixe qui limite à l’excès les mouvements de nos membres, ce qui est très dommageable à notre musculature, tout autant qu’à nos appuis osseux, à notre circulation sanguine et à notre transit intestinal.
La souris emprisonne notre main droite et la soumet à des mouvements saccadés répétitifs qui n’ont rien de naturel, tandis que le clavier hypersensible conçu pour favoriser la rapidité de la gestuelle crée une fatigue neurologique constante.
L’écran «hypnotise» littéralement notre regard, limite à l’extrême notre champ de vision et restreint abusivement la portée de celui-ci, ce qui diminue peu à peu ses facultés d’accommodement à la «ligne d’horizon» et nous menace de myopie. A quoi s’ajoute la permanente fatigue oculaire causée par une luminosité directe.
Est-il besoin de préciser que toutes ces agressions sont fortement aggravées dès que les nécessités professionnelles exigent une grande rapidité d’exécution des travaux. C’est alors une pression psychologique intense qui s’exerce à la fois sur notre mental et notre système nerveux, cette pression pouvant nous conduire, dans les cas extrêmes et sur les personnes plus fragiles, à un complet dérèglement de notre métabolisme et de nos facultés adaptatives.
En fait, si une activité de ce type est maintenue durant plusieurs années, la dégradation progressive de la santé est quasiment inéluctable. Tant que l’organisme est jeune, il supporte et s’adapte. Dès que l’âge commence à faire son oeuvre (autour de 40 ans en moyenne), ses défenses sont débordées et l’épuisement nerveux se déclare.
Les anxiolytiques ou antidépresseurs peuvent apporter une aide toute passagère et l’erreur serait de s’y accoutumer, car ils ne résolvent nullement le problème. Les seules solutions concrètes sont de deux ordres : celles qui dépendent de l’entreprise dans laquelle on travaille et celles qui dépendent de l’individu lui-même, ce qui n’exclut pas leur interaction souhaitable.
Il est aujourd’hui indispensable que les chefs d’entreprise comprennent que le bien-être physique et mental de leur personnel est la base même de leur productivité. L’énorme pression psychologique engendrée par l’informatique et sa rapidité (sans parler des dangers liés au rayonnement électromagnétique des ordinateurs et des téléphones portables, auxquels on ne peut pas être continuellement exposé sans dommages) nécessite au sein des entreprises une organisation fonctionnelle des locaux et des horaires permettant à chacun de pouvoir se détendre, se relaxer, «se récupérer» et prendre de temps à autre ses distances avec la surcharge émotive et psychologique ambiante.
Il faut à chacun de l’espace, du silence et du calme. Il est également indispensable que les postes de travail soient organisés en fonction d’une ergonomie efficace mise au point par des professionnels. Le travailleur doit bénéficier d’un confort maximal, car celui-ci, bien loin d’être un luxe, est un facteur capital d’efficience et de productivité et un bon moyen d’éviter l’absentéisme. C’est donc à l’avantage de l’entreprise autant, sinon plus, que de ses employés.
Quant à l’individu lui-même, il lui faut impérativement se ménager, apprendre à se relaxer dès que c’est possible, saisir la moindre occasion d’un déplacement physique (par exemple : préférer porter un papier vers un bureau voisin plutôt que le transmettre d’un ordinateur à un autre). L’idéal est de ne pas rester devant un ordinateur plus de 30 minutes sans bouger. Se lever et faire quelques pas, ne serait-ce que durant 2 minutes, a des effets beaucoup plus bénéfiques qu’on ne l’imagine.
Si les dirigeants de l’entreprise n’ont pas la capacité d’accomplir les aménagements nécessaires et si le salarié ne parvient pas, à son niveau, à réduire les néfastes effets d’une pression excessive, il ne lui reste plus qu’à changer de vie et de métier. Certes, c’est plus facile à dire qu’à faire, mais dans certaines situations intenables, c’est le seul moyen de sauver sa santé, élément primordial de notre bonheur et qui ne doit jamais être sacrifiée.
Pierre LANCE
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Pierre,
un lien vers une vidéo de l’INRS qui explique les mécanismes du stress, courte et très bien faite. http://youtu.be/B9P9k7o8Nxg
Bonjour Pierre,
Je travaille sur le “stress au travail” et j’ai publié plusieurs articles dans lesquels vous trouverez les “signes qui ne trompent pas” comme vous dites. Je liste effectivement, entre autre, les facteurs de risques (les causes) et les signes cliniques. Si cela peut vous éclairer et vous aider, j’en serai ravie. Voici le lien : http://blogaxharmonyconseil.com/category/risques-psychosociaux-2/burn-out-2/
Bonne continuation
si le bonheur dépend de la santé,que dire d elle quand ,comme vous le préconisez,les gens ont quitté leur travail et ne peuvent plus manger correctement?votre raisonnement n est pas raisonnable!
“élite,club fermé”ça me rappelle vaguement quelquechose…on sent bien votre désir de bien de l humanité….à condition qu elle ait de l argent!….
merci pour cet article tellement d’actualité
kinésithérapeute en retraite ,je donne des cours d’étirements musculaires qui ont un effet déstressant , et qui permettent une recharge énergétique , j’estime qu’en 5 minutes on peut se “recharger” et se déstresser, si les entreprises pouvaient autoriser leurs salariés à s’étirer pendant 5 MINUTES ,aussi souvent que nécéssaire tout le monde y trouverait son compte ,…….les salariés ,les chefs d’entreprise et la sécurité sociale …….
mon slogan : “s’étirer ou souffrir ,il faut choisir” je veux bien communiquer mon expérience .
Cette série d’étirements a-t-elle un nom spécifique ?
Le burn out ne touche pas que les salariés des entreprises ; le milieu médical et l’éducation ne sont pas épargnés. J’étais directrice d’une école maternelle à 4 classes, ce qui impliquait et la direction de l’école et l’enseignement dans ma classe de 29 élèves de 3/4 ans. Pendant 3 ans et demi, j’ai donc mené gestion administrative et enseignement de front, avec un sentiment de frustration de plus en plus grand, l’impression grandissante de ne pas arriver à faire quoi que ce soit correctement, une fatigue intense, un temps de plus en plus important passé à travailler avec une… Lire la suite »
Je me disais la même chose que Michèle F. pourquoi n’ont-ils associés le burn out qu’au travail rémunéré par un patron. Le burn out existe aussi pour les parents au foyer, il faut toujours être souriant, toujours être disponible, aller au toilette quand on peut et non quand on a besoin, manger un grand mot, les 3/4 du temps vous enfilez votre assiette en 2-2 pour avoir ne serait-ce que le plaisir de manger sans être entrecoupé et chaud, ne surtout jamais se plaindre (ben oui quoi on ne travaille pas en s’occupant de nos enfants, c’est bien connu), avoir… Lire la suite »