Quand le vent souffle dans les muscles ~ Enquête ayurvédique sur la fibromyalgie

23/09/2024
Quand le vent souffle dans les muscles  ~ Enquête ayurvédique sur la fibromyalgie
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Chère lectrice, cher lecteur,

Cela fait un moment que je reçois à mon cabinet des exilés du système médical. Leur détresse est palpable. En état de souffrance, psychique autant que physique, ils arrivent avec leurs dossiers médicaux et des analyses chiffrées.

Ils me parlent du déni des médecins qu’ils ont rencontrés, autant que de théories sensées expliquer leur souffrance. Ils évoquent des protocoles, en ont essayé certains, la plupart sans succès. « C’est dans votre tête », leur dit-on. Ou bien, « Non, c’est bien réel, et voici LE protocole miracle que vous devriez essayer ». Comme si la souffrance des gens était une affaire de croyance, et de « protocole ».

 

Mouton blanc ou mouton noir

Les cas de maladies controversées comme la fibromyalgie sont pléthoriques dans les cabinets de médecines alternatives. La première posture est de considérer que nous, thérapeutes en « médecine douce », sommes sensés proposer une forme d’accompagnement « bien-être » de garage. Avec derrière l’idée méprisante du « scientisme » : du placebo pour des maladies imaginaires, après tout, grand bien leur fasse tant qu’ils ne font pas de mal ! C’est une posture largement répandue dans le monde médical conventionné, mais aussi, parfois, chez certains thérapeutes alternatifs « frileux » ou ayant reçu une formation incomplète dans leur discipline. La seconde posture est celle du « rebelle », du thérapeute alternatif militant à tendance « tête brûlée »: insister envers et contre tout diktat ou déni des autorités médicales, et nous battre contre ce qui ne relève pas de notre domaine de compétence. En clair, il s’agit de choisir entre jouer les moutons blancs ou jouer les moutons noirs. En pendant qu’on joue aux moutons : des patients souffrent, et cherchent des solutions pour se soulager. Face à cette vulnérabilité, il convient en premier lieu d’accueillir la souffrance. Et si réponse il doit y avoir, elle doit être nécessairement éthique, non partisane, et en conformité avec le cadre d’interprétation et d’intervention de notre discipline.

Plus j’acquiers de l’expérience en tant que thérapeute en Ayurvéda, plus j’insiste sur ce point : mon métier est de faire de l’Ayurvéda, pas de proposer des réponses « naturelles » à des maladies reconnues ou non par la médecine moderne. Faire de l’Ayurvéda, c’est proposer une réponse ayurvédique à une problématique ayurvédique.

Je m’explique.

 

Un regard ayurvédique sur les troubles neuro-musculaires

Il n’y a pas de fibromyalgie en Ayurvéda, pas plus qu’il n’y a de maladies de Crohn ou autres maladies auto-immunes. Cela ne signifie pas que cette médecine ancestrale nie de tels diagnostics médicaux ! Pas plus qu’elle nie une souffrance, ou une douleur.

Bien sûr que non.

Cela signifie que nous, praticiens en Ayurvéda, avons notre propre regard sur le corps et ce qui s’y déséquilibre. Et que nous regardons la maladie autrement, avec des lunettes singulières, qui sont celles de l’Ayurvéda. Ce regard singulier permet de prendre un problème par un autre bout que celui auquel on s’attend.

Laissez-moi vous donner un exemple.

Le muscle, « mamsa » en sanskrit, est, selon les maîtres de la médecine ayurvédique, le troisième tissu du corps. Il est produit à partir de trois réactions métaboliques successives, dont la description traditionnelle paraît aujourd’hui largement « poétique » : la première transforme la nourriture ingérée en lymphe, la seconde transforme la lymphe en sang, et la troisième transforme le sang en muscle. Le muscle se développe donc, selon l’Ayurvéda, à partir du tissu sanguin. Évidement, d’un point de vue moderne, selon la théorie des cellules souches, c’est une aberration scientifique. Nous ne demandons pas au « moderne » de nous croire, mais de voir à quoi cela sert de voir les choses ainsi… Cela signifie que s’il y a un problème musculaire, il faut observer ce qui s’est joué à l’origine dans le sang, et donc interroger la circulation sanguine. Peut-être qu’un jour, la science redécouvrira l’intérêt de ce genre d’intuitions des grands médecins de l’Antiquité indienne ?

 

Attention au vent qui souffle !

En attendant, revenons à notre enquête ayurvédique : s’il y a un crime, il faut nommer les suspects. Qui sont-ils ?

…Les doshas.

Si vous avez lu mes précédentes lettres, vous commencez à les connaître.

Selon l’Ayurvéda, toute maladie provient du déséquilibre des doshas, les « humeurs » de notre corps, qui sont au nombre de trois : le vent (Vata), la bile (Pitta) et le flegme (Kapha). Si telle ou telle humeur est en excès dans tel ou tel tissu, alors on peut le considérer comme « malade ». En clair, les doshas nous font vivre, certes, mais nous rendent aussi malades. C’est tout le paradoxe de la vie !

Le dosha suspect numéro un, qui provoque des douleurs musculaires de type « coups », à des intervalles irréguliers, n’importe quand, n’importe où, c’est le « vent » : Vata. Le vent est une combinaison des éléments Air et Espace. C’est une pression plus ou moins forte, qui s’exerce à tel ou tel endroit du corps. Plus il y a d’air, moins il y a d’espace, plus il y a de pression, et plus cela fait mal. C’est la manière traditionnelle indienne, multimillénaire, d’expliquer ce que Blaise Pascal a théorisé et chiffré au XVIIème siècle, et qui a été appliqué en médecine.

Ce phénomène, les méfaits du « vent » sur le corps, fait l’objet d’un chapitre entier dans le premier manuel de médecine indienne, datant d’environ 2 000 ans, qui est encore aujourd’hui une référence pour les médecins ayurvédiques : la Charaka Samhita. Toutes les configurations possibles y sont expliquées : les méfaits du vent sur la lymphe, les méfaits du vent sur les os, les nerfs, etc.

Regardons à présent de plus près les symptômes qui correspondent à ce qui se joue quand il y a une « occlusion » du vent dans les muscles et les graisses :

« Si l’air vicié s’est fixé sur les muscles (mamsa) et la graisse (medas), on constatera une lourdeur dans tous les organes, de redoutables douleurs perçantes comme si on avait été rossé à coups de poings ou de bâtons, une grande fatigue et un extrême épuisement. »[1].

« Comme si on avait été rossé à coups de poings ou de bâtons », « extrême épuisement » : avouez que c’est bluffant ! Cela évoque très fortement les symptômes dont se plaignent les patients atteints de fibromyalgie !

Je vous disais qu’il était judicieux, en Ayurvéda, de jeter un œil sur ce qui se joue avant qu’un symptôme donné n’apparaisse. Je vous parlais du « tissu mère » des muscles : le sang. Lorsqu’il y a une occlusion du vent dans le sang, Charaka nous dit que des douleurs apparaissent, accompagnées d’une décoloration de la peau (comprendre un teint gris, anémié), une perte d’appétit et de poids, des douleurs digestives et des éruptions cutanées. Ça, c’est l’étape probable avant les « coups » aux muscles…

Mais reconcentrons-nous sur la scène du crime elle-même, avant de reconstituer l’arrivée sur les lieux ou d’interroger les témoins et les éventuels complices. Selon l’Ayurvéda, le « coupable », c’est le vent. Ce ne sont ni les troubles digestifs, ni les perturbateurs endocriniens, ni les vaccins, ni les traumas psychiques, bien que ces facteurs puissent perturber le vent.

Partant de là, il faut observer le problème d’un point de vue holistique et comprendre comment le vent se déséquilibre en nous jusqu’à atteindre nos tissus musculaires et graisseux. Là, bien des configurations sont possibles : alimentation irrégulière et insuffisante, légère et froide, insomnies, anxiété, mauvaises postures, traumatismes physiques ou psychiques, etc. Il faut voir au cas par cas ce qui explique l’origine de ce problème de vent, et toujours garder à l’esprit qu’un déséquilibre est toujours multi-causal. Mais, vous l’aurez compris, ce dont il faut s’occuper, c’est du vent ! Voilà l’originalité de l’Ayurvéda, et son angle d’attaque de la fibromyalgie.

 

Que faire quand on a du vent dans les muscles ?

Sachant cela, la Charaka recommande deux types de remèdes : le remède d’évacuation et le remède palliatif. Vous vous demandez ce que j’entends par « mesure d’évacuation » ? Il s’agit de l’hydrothérapie du côlon ! Le but est de le nettoyer, certes – et cela rappelle les conseils de la naturopathie – mais il faut aussi le « lubrifier » et le « nourrir ». Ce qui doit être évacué, ce n’est pas la matière fécale, mais le vent lui-même, qui prends son origine, nous dit l’Ayurvéda… dans le côlon.

À cette fin, on n’utilise jamais de l’eau seule pour pratiquer les lavements « niruha » en Ayurvéda, comme indiqué par Charaka dans ce cas d’occlusion du vent dans les muscles. On prépare une « soupe » : il s’agit d’une émulsion d’huile, de décoction de plantes, avec du sel gemme et du miel. La plante la plus fréquemment utilisée à cette fin est la mauve indienne : bala (Sida cordifolia). Attention, ce genre de pratique n’est pas destiné à être appliqué en solitaire, mais accompagné par un personnel qualifié en ce qu’on appelle en Ayurvéda « panchakarma ». C’est une pratique de cure. Des préparations, comme des massages et des saunas, sont nécessaires avant de faire un lavement.

 

 

Ce qui est, en revanche, plus accessible pour celles et ceux qui souhaitent prendre en charge leur santé, ce sont les mesures « palliatives ». L’objectif est non pas d’évacuer le vent d’un coup, mais de diminuer jour après jour cette pression corporelle qui s’exerce sur les muscles. Il faut donc une alimentation, un mode de vie et des remèdes qui permettent à votre corps et à votre esprit de « lâcher la pression », c’est-à-dire diminuer Vata. On peut par exemple envisager des massages doux à l’huile de sésame, une alimentation saine et équilibrée de type onctueuse avec de « bonnes graisses » adaptées, comme l’huile de sésame et le beurre clarifié (ghee). Les carnivores privilégieront les bouillons de viande, pour les végétariens et flexitariens : la lentille noire ou « haricot urd », la plus riche et la plus onctueuse de toutes. On peut également utiliser la lentille beluga, plus facile à trouver en magasin, aux propriétés similaires.

Pour ce qui est de l’herboristerie, il faut rechercher des plantes favorisant la détente musculaire, comme la mauve indienne, bala, citée plus haut. Ces plantes sont riches en mucilages, des substances visqueuses qui sont aussi bien utilisées pour fluidifier les bronches, que les intestins (effet laxatif), mais aussi, ce qui est moins connu : les fibres musculaires. Si vous faites bouillir des racines de bala dans de l’eau, vous obtiendrez une substance visqueuse, les racines vont gonfler et se ramollir. N’oubliez pas de filtrer le tout pour ne récolter que le liquide aux vertus émollientes, ce qui est l’effet recherché dans le corps pour apaiser le vent. On trouve facilement de la mauve sous nos latitudes. On portera également notre attention sur le romarin, connu aussi pour ses effets décontractants.

En Ayurvéda, la forme du remède la plus adaptée au traitement des déséquilibres du vent dans les tissus corporels, ce sont les vins médicinaux, qu’on appelle en Inde « aristha », une forme fermentée donc. Le vin de bala (balarishtha) est un grand classique des herboristeries ayurvédiques pour soulager les douleurs neuro-musculaires, attention cependant à qui souffrirait d’hypertension : la mauve indienne est hypertensive. A-t-on déjà préparé un « vin de mauve » en France ? Je ne sais, mais cela me donne envie de tenter une recette un jour ! À défaut, les teintures-mères peuvent aussi faire l’affaire.

 

Est-ce vraiment une fibromyalgie ?

Je ne voudrais pas vous donner l’impression fausse que vous allez pouvoir « traiter » votre fibromyalgie avec de la mauve. J’ai pour ma part deux règles, dont une que j’ai déjà évoquée dans une précédente lettre : comparaison n’est pas raison. Ce n’est pas parce qu’un médecin – ou à défaut, Doctissimo – vous a diagnostiqué « fibromyalgique », que vous souffrez de « mamsa gata vata » en Ayurvéda. Il se peut que vos douleurs musculaires s’expliquent tout autrement : par un excès de feu par exemple (Pitta), ou un excès de flegme (Kapha). Dans le premier cas, selon la logique ayurvédique, une teinture-mère, fusse-t-elle de mauve ou de romarin, n’arrangera rien, au contraire. Il se peut aussi que le muscle ne soit qu’une victime collatérale d’un autre problème, comme d’un appauvrissement général des tissus. Dans ce cas-là, pourquoi s’acharner sur le symptôme ? En clair, bien des configurations sont possibles.

Je prêcherai donc pour ma paroisse : essayez de consulter une ou un spécialiste de l’Ayurvéda afin qu’il vous confirme que votre problème est bien, ou non, un « problème de vent dans les muscles ».

Je travaille actuellement sur la préparation d’un programme vidéo pour vous transmettre de nombreux conseils pratiques pour prendre soin simplement de votre santé selon l’Ayurvéda. Dans une vidéo en particulier, je vous apprendrai à reconnaître les signes de déséquilibre du vent en vous. Alors restez attentif, c’est pour bientôt !

Ma seconde règle est la suivante : écoutez votre corps. Si vous essayez un produit ou une méthode naturelle et que cela vous soulage, continuez ; si ce n’est pas le cas, arrêtez. Ne vous racontez pas d’histoires, votre corps est votre guide. Si cela vous soulage, tant mieux, si cela ne vous fait rien ou pire, aggrave vos douleurs, laissez tomber. Donnez-vous un délai de dix jours et, en cas de doutes, parlez-en à un médecin en qui vous avez confiance. Quelqu’un qui saura observer des résultats sans parti-pris, et évaluer, le plus objectivement possible, les risques, notamment d’interactions, entre des méthodes naturelles et conventionnelles, si tant est que vous ayez un traitement médicamenteux.

En attendant, je vous souhaite de relâcher la pression, cela fera du bien à vos muscles. Tenez, une autre bizarrerie de la médecine ayurvédique et du yoga thérapeutique traditionnel : la force musculaire est reliée au vent « ascendant » (Udana Vata), qui régule également la parole et l’impulsion à l’action. Pour le calmer, donc : faire moins, faire mieux, parler moins, parler mieux. Un vrai challenge pour notre époque !

À bientôt,

Morgan Vasoni


Source :

[1] Charaka Samhita, section des thérapeutiques, chapitre 28, verset 32, trad. Jean Papin, éd. Almora.

 

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