Le “maniaque du contrôle”, c’est l’homme qui ne se laisse jamais aller, qui est sans cesse en train d’optimiser : son lit au carré, son régime alimentaire, sa pelouse coupée aux ciseaux à ongles, son revers au tennis, la carrosserie de sa voiture, mais aussi les dépenses de son épouse, l’éducation de ses enfants, le travail de ses subordonnés.
Les psychiatres ont classé ces comportements parmi les “Troubles obsessionnels compulsifs”.
Dans les tribunaux, des employeurs sont régulièrement condamnés pour avoir poussé trop loin les mesures de surveillance de leurs employés. La presse grand public (“Cerveau et Psycho” [1], “Psychologie Magazine” [2], le journal Le Monde [3], etc.) publie régulièrement des articles racontant le calvaire des femmes mariées à un obsédé du contrôle ou de salariés livrés à un patron pathologique.
L’expression “maniaque du contrôle” est née dans les années 60 aux Etats-Unis, où l’on parle de “control freak”. (prononcer “controle fric”).
Freak, en anglais, veut dire “monstre” ou “taré”.
Le “control freak” est donc un “monstre ou un taré du contrôle”.
Cette expression a mis quelques décennies à arriver en Europe.
Chez nous, pendant longtemps, il était considéré comme positif, ou d’ailleurs tout simplement normal, de chercher à faire son travail le mieux possible, surveiller ses dépenses, faire les gros yeux aux enfants qui se mettaient les doigts dans le nez.
C’était au contraire les personnes qui sortaient mal rasées, dépenaillées, qui manquaient leurs rendez-vous et leurs engagements, qui étaient considérées comme ayant un problème.
Mais cela a changé ces dernières années. Aujourd’hui, il est fréquent d’être regardé avec ironie à cause d’une “pathologie du contrôle” réelle ou supposée.
Cette ironie se double de mépris quand vous lisez, dans les articles parus à ce sujet ces dernières années, que les “maniaques du contrôle” sont en réalité des personnes intérieurement paniquées par la peur de l’échec, incapables d’accepter l’incertitude inhérente à la vie humaine, et au fond victimes d’un terrible sentiment d’infériorité.
Dans les colonnes du journal Le Monde, un professeur de psychopathologie à l’université Rennes-II, Alain Abelhauser, les accuse ni plus ni moins de rater leur vie :
“Les control freaks sont des gens qui, dans l’imaginaire collectif, correspondent à une forme de névrose obsessionnelle “réussie”. On leur donne l’illusion qu’ils s’en sortent bien. Alors que la réalité est tout autre. Souvent, à force de vouloir réussir, protéger leur vie de la sorte, ils passent tout simplement à côté.” [4]
Pour ma part, je suis mal-à-l’aise avec ces jugements de valeur, et également par cette tendance, si actuelle, de voir des maladies partout.
Une des bases de la psychologie est de comprendre, et d’accepter, que la diversité des caractères et des tempéraments est la donnée fondamentale de l’espèce humaine. Les sociétés humaines tirent leur vitalité, leur robustesse et leur adaptabilité, de la diversité des individus qui les composent.
En biologie évolutionniste, on considère même que, si la sélection naturelle a favorisé l’émergence de certains traits de caractères bizarres ou marginaux, c’est parce qu’ils ont leur utilité sociale, eux aussi.
Prenez par exemple une “maladie mentale” pourtant bien établie comme la paranoïa.
Pour l’individu paranoïaque, et pour son entourage, c’est évidemment pénible. Pourtant, à l’échelle de la société, on peut supposer que compter des paranoïaques augmente ses chances de survie par rapport à une société qui n’en aurait aucun.
En effet, le paranoïaque soupçonne constamment qu’on lui en veut, qu’on cherche à le tromper, et lui nuire. La plupart du temps, il a tort. Mais de façon exceptionnelle, il peut avoir raison, éviter un piège particulièrement machiavélique que personne d’autre que lui n’aurait pu soupçonner ! Cette idée est illustrée dans notre culture par l’histoire du Cheval de Troie : les Troyens estiment avoir toute raison de faire confiance et font entrer le cheval dans la ville. Personne ne veut écouter Cassandre, qui annonce la désastre. Cassandre est le prototype de la femme paranoïaque, qui voit le mal partout, mais qui en l’occurrence, avait raison, et aurait pu sauver la ville.
De même, l’avare qui aura entassé de l’or dans un trou, au-delà de toute raison et de tout besoin réaliste, peut, à l’occasion d’une catastrophe, sauver une communauté.
Ainsi, plutôt que de chercher à critiquer ou dénigrer certains tempéraments, il est toujours plus utile et intéressant de chercher à comprendre leurs avantages et leurs inconvénients, sachant qu’une médaille a toujours deux faces.
Dans le cas des personnes dites maniaques du contrôle, il me paraît particulièrement injuste de les traiter comme des malades. de faire la liste de leurs défauts, sans reconnaître en même temps les avantages inouïs et les bienfaits immenses que leur présence peut apporter à une société.
Ceci est d’autant plus vrai à notre époque où existent des technologies complexes et parfois très dangereuses, qui pourraient provoquer des catastrophes si elles échappaient à leurs concepteurs.
Ainsi, personnellement, j’espère de tout cœur qu’il y a des “maniaques du contrôle” :
Ajoutons à cela que, comme chacun peut aisément le reconnaître, c’est une solution de facilité incroyablement facile, et peu honorable, que de coller l’étiquette “maniaque du contrôle” aux personnes qui, tout simplement, font leur travail et nous font remarquer nos erreurs et nos manquements.
Ainsi, mon instituteur de CP, Monsieur Laquille… Il insistait pour que je me tienne droit sur ma chaise, les pieds à plat, la main gauche sur mon buvard, le stylo entre le pouce, le majeur et l’index. Il me forçait à écrire le “a” entre les deux lignes, sans dépasser ; me barrait au rouge lorsque j’oubliais “la petite queue” ; et me déchirait la page si je ne laissais pas deux carreaux après la marge sur mon cahier !!
Etait-ce un “maniaque du contrôle” ?
Il serait certainement accusé, aujourd’hui, de maltraitance. C’est pourtant grâce à lui, et à son infinie patience, que j’ai finalement cessé de faire des “pattes de mouche”.
Les maniaques du contrôle sont accusés d’être incapables de spontanéité, de fantaisie, de poésie.
La question se pose là aussi de savoir s’il ne s’agit pas encore d’une accusation sournoise.
Jean de la Fontaine, qui s’y connaissait en poésie, était un travailleur acharné, attentif au moindre détail de ses fables, de ses rimes, tout comme Racine et Corneille qui, jamais au grand jamais, ne se trompaient sur le nombre de pieds dans leurs alexandrins, et dans chaque hémistiche. Tous ciselaient chaque vers de leurs poèmes et pièces de théâtres, et recommençaient inlassablement jusqu’à atteindre la perfection.
Ludwig van Beethoven, lui, disait que : “Le génie, c’est cinq pour cent d’inspiration, quatre-vingt-quinze pour cent de transpiration.”
Sans technique rigoureusement maîtrisée, sans obsession pour le contrôle absolu de votre geste, comment voulez-vous sculpter le David de Michelange ou peindre la Joconde ??
Comment réussir les prodiges de beauté des patineurs artistiques si la moindre figure n’a pas été travaillée jusqu’à la perfection ?
Comment réussir une opération à cœur ouvert, ou une chirurgie du cerveau, si vous faites confiance à votre “spontanéité” ? Comment envoyer une navette sur Mars si vous misez sur les avantages supposés de votre “fantaisie” ?
Bien entendu, la vie n’est pas faite que de performance, de dépassement de soi. Il faut aussi du temps pour s’amuser, se détendre, profiter, dormir. Mais ce n’est pas une raison pour confondre professionnalisme et amateurisme, mettre sur le même plan l’art et le bazar.
Alors, si vous avez un maniaque du contrôle dans votre entourage, plutôt que de le dénigrer ou de l’envoyer chez le psychiatre, ma suggestion est de commencer par reconnaître que ses efforts rendent service autour de lui, en particulier quand il s’impose des tâches ingrates.
Et pour l’aider à progresser, vous pourriez lui suggérer avec délicatesse qu’il n’a pas à se charger d’un si lourd fardeau, ni de se prendre trop au sérieux. Qu’il n’a pas besoin de prendre en charge la terre entière, au risque de se rendre détestable, d’accumuler du ressentiment contre les autres soupçonnés de ne pas en faire assez, et de devenir agressifs.
Ceci étant dit, selon ce que j’ai observé, il n’est en général pas nécessaire d’intervenir. Quand ils ne le comprennent pas spontanément, la vie se charge toute seule de leur mettre les fessées nécessaires pour les faire changer. Cela se produit en général avant les 40 ans. Et après, s’ils comprennent la leçon, cela en fait des gens vraiment exceptionnels jusqu’à la fin de leurs jours.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
Sources:
[1] https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/attention-poc-ou-les-maniaques-du-controle-21802.php
[3] https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2013/08/09/les-obsedes-du-rien-lacher_3459013_4497186.html
[4] https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2013/08/09/les-obsedes-du-rien-lacher_3459013_4497186.html
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Et oui,il faut une certaine dose d’obsessionnalité pour que le monde tourne (à peu près…) rond.Question de dosage, comme beaucoup de choses.
Par contre ne pas confondre les 3 choses : personnalité obsessionnelle, névrose obsessionnelle et TOC, troubles obsessionnels compulsifs. Les deux derniers sont du domaine de la pathologie.Ceux qui en sont affligés sont bien malheureux, ainsi que leur entourage.D’autant que leur traitement en est difficile et aléatoire.
Dr Fr Connesson Tagger
bravo et merci !
Merci Jean-Marc pour cette lettre, à l’image des autres, apaisante, qui met un baume frais et léger sur nos petits travers, à l’inverse du tapage médiatique tellement moutonnier. En l’occurrence, être un « contrôlant », c’est aussi une façon d’essuye d’assurer sa sécurité et celle de sa famille,,,
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