« Un scorpion, cherchant à traverser une rivière, demande à une grenouille de le prendre sur son dos.
– « Pour qui me prends-tu, scorpion ?? Je te connais, tu vas me piquer !! »
– « Mais non, grenouille ! Tu peux me faire confiance. Si je te pique, je me noierai moi aussi ! »
La grenouille hésite mais finit par céder sous les insistances du scorpion. Elle le fait monter sur son dos et s’engage dans la rivière.
Arrivés au milieu, le scorpion plante son dard profondément dans le dos de la grenouille.
Celle-ci est paralysée et se met à couler, entraînant le scorpion avec elle. Elle parvient cependant à poser une dernière question :
– « Mais enfin, scorpion ! Pourquoi as-tu fait ça ?? Nous allons mourir tous les deux !! »
Cette fable n’est pas compréhensible pour les enfants, ni pour beaucoup de jeunes adultes.
Il faut avoir un peu vécu pour la comprendre.
Comprendre que ce n’est pas l’intérêt qui fait agir les gens.
C’est leur nature, profonde, cachée, et qui leur fait faire constamment des choses… contre leur propre intérêt (jusqu’à s’auto-détruire, comme le scorpion dans cette petite histoire).
Le fait a été révélé il y a déjà 150 ans par Nietzsche, Dostoïevsky, Kierkegaard puis Freud et Carl Jung, au XXe siècle :
L’homme agit constamment pour des motifs obscurs, inconnus à lui-même, et certainement totalement contraires à son intérêt.
La question n’est donc pas : “Quel est mon intérêt ?”
Mais : “Comment parvenir à négocier avec moi-même, pour que je fasse enfin ce qui est dans mon intérêt” !!
Pour cela, il faut apprendre à se connaître soi-même, pour apprendre ce dont nous avons vraiment besoin.
“De quoi ai-je besoin pour parvenir à respecter mon régime, et cesser de manger des cochonneries ?”
Ce n’est pas évident. Il faut très bien se connaître, pour avoir des réponses à cela.
Il faut savoir quelles sont nos forces, pour se fixer un objectif atteignable.
Il faut apprendre à se récompenser comme il faut, pour se donner les moyens de continuer les efforts jusqu’au bout, sans se décourager.
Il faut apprendre à se reposer, faire des pauses, comme toute personne qui entreprend un projet : “Qui veut voyager loin ménage sa monture.”
Il faut aussi apprendre à être patient avec soi-même, et se pardonner ses propres erreurs. Comprendre qu’il faut se traiter avec délicatesse, respect, et qu’on ne peut pas se donner à soi-même des ordres, comme à un esclave.
Il faut accepter de prendre en compte notre part d’ombre.
L’ombre est cette partie de moi-même qui veut, qui désire, qui convoite des choses que je n’aime pas. Elle me pousse à faire des choses qui sont contre mon intérêt. Je les fais, tout en sachant que je ne devrais pas, et que je vais le regretter ensuite.
Mais je le fais… quand même.
L’ombre, c’est comme une autre personne, malfaisante, qui vit en nous. Elle est opposée à nos propres projets et désirs, et pourtant elle prend régulièrement les commandes et nous fait faire ce qu’elle veut.
C’est énervant. Et pourtant, pour être réaliste, je dois reconnaître qu’elle existe.
La meilleure stratégie pour la gérer n’est pas de nier son existence, mais au contraire d’essayer de bien la connaître pour la maîtriser. Je ne peux pas l’éliminer. Mais je peux en tenir compte. J’apprends à faire des concessions à mon ombre. Pour éviter qu’elle ne s’énerve, reprenne le contrôle, et me fasse faire absolument n’importe quoi.
Pour cela, je dois d’abord partir en exploration dans les profondeurs de ma conscience, comme un plongeur sous-marin part dans l’abîme obscur.
Une fois que j’aurai réussi à me connaître moi-même et à reconnaître ma part d’ombre, au moins partiellement, une fois que j’aurai une toute petite idée de ce qui me fait agir dans la vie, alors je pourrai commencer à négocier, doucement, prudemment, avec moi-même, pour obtenir ce que je sais être bon pour moi.
C’est le seul moyen de progresser dans la bonne direction.
Cela peut paraître décourageant, car trop lent.
Mais en vérité, vous n’avez aucune idée des progrès que vous pouvez faire si vous commencez vraiment à bouger dans la bonne direction, jour après jour.
Les changements sont lents au début, mais avec le temps, on apprend à bouger de plus en plus vite. Bientôt, on a l’impression d’avoir été le Petit Poucet… qui a chaussé les bottes de Sept Lieues.
On avance à une vitesse décoiffante. On atteint des objectifs qui nous auraient paru parfaitement irréalistes autrefois.
La vie devient alors, vraiment, extraordinairement belle.
Et ce n’est pas tout :
Cette connaissance de ma Nature profonde (de mon Soi, disait Jung, du « Ça » disait Freud, qu’il désigne comme la source de tous nos désirs, notre « libido » ) me permet de comprendre que les autres, aussi, sont guidés par des désirs mystérieux et profonds.
Eux aussi, peuvent agir contre leur volonté, contre leur intérêt.
Je cesse donc d’avoir des attentes irréalistes. Je cesse de m’énerver. De leur chercher des motifs malveillants.
En tant que médecin, thérapeute, accompagnant, j’apprends à être compréhensif avec mes patients. A ne pas trop attendre des grands discours, des cours de morale, des leçons théoriques. A leur laisser le temps de bouger, à leur rythme.
J’apprends à ne pas trop écouter les grandes promesses, aussi sincères qu’elles puissent paraître.
Car « Nous ne sommes pas le maître dans notre propre maison », disait Freud.
Mais nous pouvons le devenir, en acceptant d’aller regarder qui nous sommes, en vérité.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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Pertinent, très. Merci pour ces directions.
Magnifique commentaire
Très intéressant : je connaissais déjà l’histoire de la grenouille et du Scorpion mais j’apprécie votre commentaire sur notre part d’ombre qu’il nous faut contrôler pour vivre pleinement nos talents.
Lorsque l’on découvre l’astrologie, on découvre un moyen pour nous connaitre, pour savoir qui on est !… au moins en partie !
C’est passionnant, difficile mais passionnant et ça apaise bcp !
Je parle bien sûr de cette science humaine, non pas de l’horoscope 😉
Chouette article !
Aaaah ben, si c’est Freud qui l’a dit ! Cela fait plus d’un siècle que l’on manipule les foules de manière massive et avec toute l’ingéniosité de psy de tous acabits et autres malfaisants qui n’agissent manifestement pas contre leurs propres intérêts ! Et c’est parce que l’on cultive (dans nos sociétés occidentales surtout) l’idée que le plaisir passe avant tout et que l’on ne doit pas y mettre de frein, quel que soit le mal que l’on fait à soi-même ou aux autres, que chacun laisse libre cours à ses faiblesses en toute bonne conscience. Le double discours, qui… Lire la suite »