Selon le dictionnaire ancien des frères Grimm (ceux qui ont écrit les contes) :
“L’envie est un sentiment qui ronge l’âme et la remplit de fiel.
Elle fait éprouver du déplaisir à la vue des qualités ou des propriétés d’autrui.
Aucun être humain ne peut s’empêcher d’éprouver ce sentiment qui monte du plus profond de son système nerveux.
L’anthropologue René Girard a montré que nous sommes “câblés” pour identifier ce que les autres convoitent, et le convoiter à notre tour.
Malheureusement, l’envie peut détruire des vies. Il faut donc s’en protéger. Mais comment faire ?
D’abord, en comprenant comment fonctionne l’envieux :
L’envieux ne cherche pas à obtenir, de façon loyale, les qualités ou choses que l’autre possède.
Ce qu’il veut d’abord, c’est assister au spectacle de sa chute, de sa ruine, de son humiliation.
L’envieux est en effet dévoré par un sentiment d’infériorité et d’impuissance provoqué par l’existence d’une personne dont il imagine, à tort ou à raison, qu’elle réussit mieux que lui.
Pour faire cesser ce sentiment d’infériorité, il souhaite qu’il arrive malheur à l’autre.
Il ira boucher votre source, même si cela ne fait pas gonfler la sienne ; empoisonner votre puits même si cela risque de contaminer le sien ; tuer votre bétail pour éviter d’avoir à contempler votre troupeau.
Il n’attend pas d’autre bienfait que le soulagement de voir l’autre descendre, et ainsi diminuer son sentiment d’infériorité.
Mais surtout, n’essayez pas d’apaiser un envieux en lui donnant ce qu’il vous envie.
“Plus on fait de bien à l’envieux, plus il devient mauvais”, dit un proverbe allemand.
La tentation, fréquente, est de donner à l’envieux ce qu’il vous envie : pour l’apaiser ; pour qu’il vous fiche la paix et aille vivre sa propre vie.
Mais c’est une grave erreur.
Loin de l’apaiser, votre geste stimulera son envie, en lui montrant à quel point vous lui êtes supérieur. En effet, vous lui montrez que vous pouvez, vous, vous passer facilement de ce que vous lui donnez.
Il se sentira diminué, humilié par votre don, même si vous l’avez fait de bon cœur, et surtout si vous l’avez fait de bon cœur.
Même si vous vous dépouillez en sa faveur de tout ce que vous possédez, il continuera à vous envier, non plus cette fois pour vos biens, mais pour votre grandeur de caractère. Il enviera votre générosité, votre détachement. Et il inventera de sombres motifs à votre geste, pour vous diminuer dans son esprit et ainsi apaiser sa souffrance.
De même, si vous essayez de l’aider à se hisser au même niveau que vous, il estimera que ce qu’il a acquis vous est dû en partie. Il aura l’impression que vous l’avez privé de l’occasion de montrer sa valeur par lui-même, et vous en voudra.
Vous êtes donc coincé, quoiqu’il arrive.
Faire un cadeau à un envieux ne vous attirera pas sa reconnaissance, mais une haine supplémentaire.
Votre seul moyen de calmer son envie serait de vous avilir vous-même. Ce qui l’apaiserait, c’est que vous vous rabaissiez, mais pour vous, ce n’est pas forcément une bonne idée.
Selon Herman Melville, auteur de Moby Dick, il existe un cas extrême d’envieux. [1]
Il s’agit d’une personne instruite, polie, qui vit dans une simplicité austère. Cette personne présente a priori toutes les apparences de la respectabilité.
L’envie ne lui monte jamais à la tête et ne s’accompagne d’aucune passion. Vous ne surprendrez donc jamais cette personne commettre un petit méfait, un acte mesquin.
Mais la raison en est qu’elle est possédée par un orgueil inouï qui lui interdit de faire des choses qui la rabaisseraient à ses propres yeux.
Cette personne semble donc a priori, parfaitement raisonnable et fiable.
Mais il y a une faille énorme, monstrueuse.
Toutes ses actions si “raisonnables” en apparence sont dirigées vers un but totalement irrationnel : celui de détruire une personne qu’elle envie.
Le personnage d’Herman Melville, nommé Claggart, est tellement habité par l’envie qu’il en est marqué physiquement : teint jaune-vert (de jalousie), joues creusées, silhouette desséchée.
Herman Melville explique que ce type d’homme :
Ces hommes, ajoute-t-il, sont aveuglés par leur délire. Mais pour le premier venu, leurs actes paraissent normaux.
Jamais ils ne divulguent leur vrai but ; leurs méthodes et leurs procédés sont toujours parfaitement rationnels, et il n’y a que lorsqu’on examine leur but final qu’on s’aperçoit qu’ils sont en proie à la démence.
L’envieux est tellement esclave de sa passion qu’il n’hésitera pas à se nuire à lui-même si par là il peut infliger une peine à celui qu’il envie.
Il n’a même pas besoin que votre peine soit aussi grande que la sienne.
Il est prêt à perdre un bras pour le soulagement de vous voir perdre un doigt. Il peut même être prêt à se suicider, dans la perspective où cela permettrait de nuire à votre bonheur (ce qui permet de considérer de nombreux suicides sous un jour nouveau).
L’envieux est donc une sorte de masochiste.
Il n’est absolument pas nécessaire d’avoir causé le moindre tort à un envieux pour qu’il ait envie de vous nuire.
Au contraire, selon le sociologue Herman Schoeck, “souvent l’envieux est particulièrement irrité – et son envie n’en est que plus intense – de ne pas pouvoir provoquer un conflit avec la personne enviée.” [2]
Il cherchera donc par tout moyen d’inventer un conflit avec vous, pour un motif futile qui camouflera ses vraies raisons.
Camoufler la vraie raison, qui est l’envie, semble particulièrement important. En effet, il arrive souvent que les hommes se reconnaissent coupables : de tromperie, de vol, de viol, de meurtre, de choses graves.
Mais ils prendront en général le plus grand soin à trouver une excuse. Ils diront par exemple qu’ils étaient dans le besoin, en manque, en proie à un coup de folie ou une “pulsion”, qu’ils ont été mal-influencés, qu’ils ont été immatures, idiots, imprudents, trop pressés de réussir…
En revanche, il est extrêmement rare qu’ils avouent la raison profonde de leur acte : “Je l’ai fait… par envie.”
Conscients au plus profond de nous-mêmes des dangers de susciter l’envie, nous essayons instinctivement de nous en protéger.
Car l’envie peut surgir de partout, y compris de personnes que l’on ne connaît pas.
Selon Helmut Schoeck toujours, nos règles de la politesse servent à nous protéger contre l’envie :
“ Les bonnes manières ne sont au fond que des règles de conduites permettant d’échapper à l’envie des autres.” écrit-il.
Les bonnes manières exigent en effet de “s’excuser”, “céder sa place” et carrément “s’effacer” devant les autres, un terme assez violent quand on y réfléchit.
De même, la “bonne éducation” nous apprend à nous faire discrets, minimiser nos mérites, voire attribuer aux autres nos propres réussites.
Cela passe pour une vertu, l’humilité. C’est aussi de la prudence.
Votre intérêt bien compris est de ne pas trop “la ramener” quand il vous arrive un succès.
Tout cela est sain, et d’ailleurs juste, car en effet on ne gagne en général pas tout seul.
Néanmoins, ce désir de ne pas se valoriser peut prendre un tour exagéré.
Certaines personnes en arrivent à s’excuser d’être venues au monde. Elles vivent dans la crainte que leurs dons soient visibles, et peuvent s’efforcer de les enfouir.
Elles préfèrent n’émettre aucune opinion personnelle, de peur d’attirer l’attention. Elles ont une peur panique des louanges, des distinctions et des cadeaux.
Cela peut être une personne talentueuse, qui préférera ne rien faire pour ne pas montrer sa supériorité.
Ce sera ces femmes jolies, mais qui ne s’habillent qu’en gris, en noir, en beige, qui n’osent pas mettre des bijoux voyants, des talons trop hauts, des coiffures visibles. Elles baissent les yeux, trottinent sur la pointe des pieds, chuchotent, rasent les murs !
Ces personnes ressentent une crainte irrépressible quand on les exhorte à “s’accomplir”, à “réaliser leur idéal”, à “développer leurs talents”.
Car elles savent, et elles ont raison, que c’est dangereux : exposer ses talents de façon visible n’attire pas que des sympathies.
Ne comprenant pas ce qui leur arrive, ces personnes peuvent rester bloquées pendant des années sans oser entreprendre une chose qui leur ferait pourtant très plaisir, et pour laquelle elles auraient de grandes facilités !!
Et pourtant, oser se jeter à l’eau, c’est la seule voie qui s’offre à nous dans l’existence, sous peine de passer à côté du potentiel de notre vie.
Vous ne pouvez pas vous “effacer”, faire semblant d’être médiocre pour la simple raison que cela risque de montrer aux autres que vous avez des qualités qu’ils n’ont pas.
Mieux encore, en suivant votre voie, vous indiquerez aux envieux la seule façon de sortir eux-mêmes de l’enfer dans lequel ils se sont enfermés.
L’envieux pourra comprendre en vous voyant que le seul moyen d’arrêter de souffrir, c’est de détourner son regard de vous, et de canaliser son énergie vers des buts qui sont à sa portée et qui conviennent à sa personnalité.
Ce n’est pas facile, mais c’est possible. Surtout, c’est une magnifique libération.
Pour l’envieux, prendre conscience qu’il a ses talents propres, sa vocation qui l’attend, sa propre vie à vivre, indépendamment de la vôtre, c’est le moyen pour lui de se libérer de son esclavage – et de vous laisser vivre !
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
[1] Voir son roman Billy Budd.
[2] Helmut Schoeck, L’envie, Editions Les Belles Lettres, page 189.
Le plus beau cadeau fait aux autres… et à nous-mêmes Chère lectrice, cher lecteur, Le stress, les angoisses, sont en train ...
Ces malades qui sont indispensables En théorie, ce sont les bien-portants qui s’occupent des malades. En pratique, ce sont ...
“On est trop nombreux de toute façon” Propos atroces entendus tandis que je buvais un café au comptoir : –...
Très intéressant! Je subis le caractère envieux de ma propre cousine. Il y a déjà environ 20 ans, lorsque je me suis établie à mon compte, elle a passé des annonces pour proposer le même type de services que moi de façon non déclarée. J’avais mis ça sur le compte d’une jeune femme qui se cherchait encore. J’aurais préféré qu’elle vienne me voir si mon activité l’intéressait mais tout a été fait dans mon dos comme pour s’approprier ma personnalité. Depuis quelques mois je me suis rendue compte qu’elle s’inscrivait sur les mêmes sites que moi (notamment sur une plateforme… Lire la suite »
Bravo pour cette analyse très pertinente et pointue; c’est effectivement et totalement ce que nous vivons depuis 10 ans de la part d’une belle famille qui s’est engouffrée (émettant doute et calomnie) dans un drame familial … 2 enfants manipulés avec la technique des faux souvenirs reconstitués ! Cet acharnement continue toujours malgré 7 ans d’instruction par la justice examinant 1755 pièces et un blanchiment total à chaque étape à notre égard, (couple et fils ainé) y compris la décision finale en cour d’appel en 2016 En tant que lecteurs assidus, pouvons nous suggérer que vous consacriez un article, voir… Lire la suite »
Cher Monsieur,
Abonnée à votre lettre santé nature innovation depuis longtemps et les lisant avec toujours un grand plaisir, je vous remercie infiniment pour cette lettre concernant” l’envie” que je trouve extrêmement intéressante et qui nous réconforte mon mari et moi , dans la façon dont vous expliquez ce mécanisme… cela nous rassure, car correspond tout à fait aux constatations que nous avons pu faire, décrites si justement dans vos propos,!
Bonne continuation à vous et votre équipe !
Joëlle Modat
Cher Monsieur, je vous remercie pour ces lettres dont je trouve le point de vue simple et efficace. Ces lettres m’aident et je tenais à vous le dire. J’ai commencé à en profiter avec celle sur l’imposteur: je ne me critique plus de la même façon depuis….;
En plus, il n’y a pas de produit à acheter en bas de page et vous ne cherchez pas à maintenir un faux suspens sur la solution à la question que vous soulevez. Encore une fois, merci et bonne continuation avec toute l’intelligence de votre coeur.
Bonjour, En effet , rester soi m^me me semble la meilleure solution . Je trouve même presque prétentieux de vouloir donner à l’envieux comme si on allait le sauver, ou aussi de s’abaisser car c’est une manière de penser que l’Autre n’est pas capable de trouver SA solution. Je préfère cette belle petite vidéo: https://soriah.amahom.com/article-aider-oui-sauver-non-110704718/
Merci beaucoup pour cet article qui ose aborder un sujet très commun en fait ! C’est exactement ce qui s’est passé pour moi lorsque j’ai intégré mon poste actuel, cela fait 8 ans. J’ai intégré un bureau avec une autre secrétaire. Je suis arrivée avec toute ma gentillesse, mes ambitions, ma vitalité, ma bonne humeur et l’envie de faire des choses intéressantes. Je ne me suis pas méfiée et j’ai donné ma confiance à cette personne qui était d’accord verbalement avec moi, comme quoi nous devions nous serrer les coudes et faire équipe. Cela a très mal tourné pour moi,… Lire la suite »
En lisant ce genre de commentaire je me demande quelle est la personne qui demande le plus de compassion? “Je sais qu’un jour viendra où je verrai passer devant ma fenêtre son corbillard, selon un dictons ! Cela se fera tout seul, mais sans moi, ma vie est ailleurs.” Là tout est dit! Fort heureusement je sais que beaucoup de choses sont en train de changer sur notre planète et que de plus en plus de personnes se tournent vers une véritable spiritualité, celle que l’on peut vivre au quotidien, qui nous aide à nous transformer et à banir de… Lire la suite »