Derek Amato est un paisible habitant d’une grande ville américaine. Un jour, il plonge dans une piscine du mauvais côté : « J’ai confondu le grand bain et le petit bain. »
C’est la fracture du crâne, l’hospitalisation d’urgence. En sortant de l’hôpital, Derek se rend chez un ami. Dans le salon, il remarque un piano. Il s’en approche. Ses doigts se posent sur le clavier… et il se met à jouer comme un professionnel.
Pourtant, Derek n’avait jamais touché un clavier auparavant.
Vous pouvez voir le reportage (en anglais) sur le lien dans les références de cette lettre [1]. Derek Amato a écrit un livre sur son expérience, intitulé Mon beau désastre (« My Beautiful Disaster [2] »).
Ce cas n’est pas isolé. Il a été décrit comme le « syndrome du savant », quand « une tragédie vous transforme en génie [3] ».
Derek Amato explique que des carreaux blancs et noirs apparaissent dans son esprit quand il est au piano. « Je me contente de suivre ce que les carreaux me disent de faire. J’essaye de suivre au mieux et cela se transforme en musique. »
Les études scientifiques recensent des cas similaires : par exemple, un garçon de 10 ans devenu un génie du calcul mental après avoir reçu une balle de baseball dans la tête ; un maçon de 56 ans qui, après être tombé d’un mur, devient poète, peintre et sculpteur [4].
Plus courantes sont les personnes âgées qui, au moment où elles commencent une démence sénile, se mettent à peindre, à chanter, à sculpter, alors qu’elles avaient pensé toute leur vie n’avoir aucun talent artistique.
Selon une étude parue en 1998 dans la revue scientifique Neurology, ce prodige pourrait être dû à la dégénérescence sélective du cortex orbitofrontal. Cela entraîne un phénomène de désinhibition des capacités créatives et artistiques, en particulier des capacités visuelles [5].
La personne « voit » des formes qu’elle ne percevait pas avant, et peut s’en servir pour créer.
D’une certaine façon, elle se « libère » des barrières qu’elle s’imposait depuis des années. Alors, son potentiel se révèle, enfin.
Il y a une phrase dans la tradition hassidique (une branche du judaïsme) qui dit :
« Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît. Tu risquerais de ne pas te perdre [6]. »
À mon avis, il est impossible de comprendre cette phrase quand on a vingt ans.
À cet âge, on a besoin de certitudes. De foncer. On croit savoir ce qu’on veut. On n’a pas de temps à perdre.
Il n’y a qu’avec l’âge qu’on réalise que, souvent, ce qu’on a fait de mieux dans la vie n’avait pas été prévu.
Les erreurs, les accidents peuvent se révéler avec le temps source d’opportunités étonnantes.
Ils peuvent nous faire découvrir des choses que nous n’avions jamais imaginées. Rencontrer des personnes que nous n’aurions jamais rencontrées. Révéler un potentiel en nous qui serait resté à jamais enfoui.
C’est une des plus belles découvertes de la vie, un des plus beaux cadeaux de la vieillesse. Découvrir que (pratiquement) toutes les expériences peuvent se révéler positives, à condition de changer son regard et d’arriver à les regarder sous le bon angle.
C’est cela, grandir.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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Quelle lettre inspirante !
Merci 🙂
Je suis souvent enthousiaste à la lecture de vos lettres. Je le suis de celle-ci, vraiment. Pas forcément plus que d’une autre, mais je prends le temps de vous le dire. Avez-vous trouvé le moyen de donner le surplus de votre jardin (c’était aussi une très jolie lettre)? Continuez et merci!
Je vous suis plus ou moins régulièrement, mais cet article resonne très fort en moi , et je comprend un peu mieux ce que je vis aujourd’hui . A 50 ans passé, je découvre la vie et l amour après une quasi vie d’ errance ” dans un quotidien terne . Merci pour votre engagement atypique et salutaire . Bonne route à tous quelqu soit le chemin …
Bonjour.
C’est revitalisant. Merci Marc Dupuis
superbe histoire, qui illustre que certains neurologues pourraient bénéficier d’une lésion de leur cortex orbito-frontal pour parvenir à imaginer des hypothèses explicatives moins bornées, car en effet comment un savoir-faire aussi complexe, nécessitant des années d’exercice acharné, pourrait-il émerger tout armé d’un cerveau, quel qu’il soit, par seule désinhibition? Il faut aller regarder du côté des travaux exposés dans le fascinant “the irreducible mind” pour s’ouvrir à des voies explicatives sortant un peu du paradigme réducteur et donc limitant auquel adhère la majorité de nos neuro-scientifiques